La grosse bête en débat par Fred
Je voulais vous entretenir du DVD La Grosse Bête.
Avec une classe de petits parleurs j'ai un peu souffert, cette année, du manque de retour sur les livres que nous avons lus. Or, cette histoire de Grosse bête, en cette fin d'année où mes élèves commencent à s'exprimer intelligiblement, a beaucoup plu à mes élèves qui la réclament.
J'ai choisi d'en faire le support de mon évaluation langage, en cette fin d'année donc et aussi de compréhension.
Or, quelle ne fut pas ma surprise, les enfants (dans leur grande globalité) ont parfaitement compris les deux premiers niveaux de lecture de cette histoire, à savoir qu'ils sont capables de me dire que "Les gens se déguisent en grosse bête pour faire peur aux gens" ou "Les gens se déguisent en monstre pour manger les enfants et penser à la grosse bête".
Je parle de deux niveaux de lecture car il me semble qu'il en existe un troisième, à mon niveau, en effet, je lis cette histoire comme un avertissement tout politique.
Lecture difficile que ce DVD que vous projetez à un adulte instruit qui, à première lecture, ne la perçoit pas trop. Pourtant, à la lire et la relire quotidiennement avec mes élèves, le sens parait évident, donc une lecture politique: à trop craindre la Bête (la Bête Immonde, vous avez dit), on finit par la créer, l'engendrer. Les mots finaux du film sont terribles et sans appel : "Et c'est bien comme çà". Le générique met fin et évite toute révolte possible, même nécessaire et engendre donc un malaise profond: ce film est noir, terriblement pessimiste.
Les enfants accèdent donc à un niveau de lecture, tel que, dans une histoire écrite, un scénario, des gens peuvent se faire peur, se manger même et vivre dans la peur. J'espère (je ne leur ai pas posé la question) qu'ils ne comprennent pas qu'ils (les gens) en jouissent.
Je me permets parfois, à l'issue de leur résumé de poser la question: "Est-ce que c'est bien?" pour entendre heureusement une réponse négative.
Voilà, un simple questionnement sur le choix que tu as fait d'un support de langage que j'ai suivi sans trop savoir qu'il m'amènerai à de telles réflexions.
Je suis bien embêté de raconter l'histoire de ce monstre aux parents qui en lisent le "compte rendu" de leurs enfants sans m'interroger sur le véritable fond de cette histoire même si je suis convaincu que les élèves , les enfants n'en retirent maintenant qu'une morale relative à un conte (de même que les autres histoires d'ogre qui font peur elles aussi), je m'interroge quand même à son devenir.
C'est encore moi, je viens de relire mon message et je ne suis pas certain d'être bien compris, je vais donc grossir le trait et être plus direct avant de terminer sur une note que j'espère positive!
Le film est pessimiste ai-je dit, oui, ce film est noir (d'ailleurs en noir et blanc): regardez ces gens, ils ne sont pas gentils, ils sont méchants, ils font peur aux enfants. regardez ces sourires, l'insouciance fait vite place aux grimaces (nous avons mis sur pause aux moments où le rideau tombe). Et écoutez la fin: "Les gens n'oublièrent pas d'avoir peur et c'est bien comme cela". C'est sans appel, sans espérance. Le chien, innocent sur la queue duquel on marche au début devient mauvais et sa bouche ressemble à celle de "l'Ogre". Ce lapin happé par un prédateur qui traverse le ciel ou bourdonne le son des cloches de l'église voisine. Ce monde reclus, cerné par les murailles du château au pied d'un autre château vide...
Comment peut-on présenter un tel "spectacle" à de très jeunes enfants?
(note positive) : je l'ai fait et, jusqu'ici, ne le regrette pas. Ils aiment et en redemandent. A noter: alors, qu'au départ, ils disaient que le film ne leur faisait pas peur, plus vont les visionnages, plus les enfants se mettent la main devant les yeux lorsque le rideau tombe. Terrible rideau que l'ultime où le monstre se lèche les babines et devient vivant: il n'est plus, comme me le disent les enfants : un panneau ou un carton, il devenu réel et comme je l'ai dit dans le message précédent, le générique met fin à toute réaction, à toute révolte. (note positive donc:) Apporter un support de réflexion de ce niveau à de jeunes enfants est intéressant, comme tous les livres que tu nous a proposés cette année qui ne sont pas de simples "Bisounours" et qui engendrent la réflexion. Cela dit, ça questionne, ça questionne...
Fred