L'évaluation positive et l'estime de soi
Lors du dernier article L’évaluation positive, qu’est-ce que c’est ?, les réactions ont soulevé deux problèmes, celui de l’attitude de l’enseignant et celui de l’estime de soi.
Valérie a avoué ne pas être à l’aise avec les félicitations depuis qu’elle travaille en référence aux travaux de Montessori considérant que les compliments pouvaient devenir intrusifs et n’aidant pas l’élève à travailler pour lui-même alors qu’Emma explique que de manière très subjective elle a gardé les applaudissements spontanés dans sa classe uniquement guidée par le bonheur qu’elle lit sur le visage de ses élèves.
La plupart de celles qui ont commenté ont fait un lien entre cette évaluation positive et l’estime de soi chez l’élève.
Personne n’a approfondi ma question sur l’influence négative que pourraient avoir les compliments fréquents en classe. Seule Valérie s’est interrogée en écrivant « La confiance en soi a-t-elle besoin de l’assentiment de l’autre ? ».
En reprenant le fil de notre débat, je réalise combien est complexe la posture enseignante et combien vous vous débattez entre vos propres souvenirs, vos convictions, vos doutes, vos influences et vos émotions.
L’intérêt d’une réflexion commune est d’amener chacun à revisiter sa manière de faire à la lumière de cette coopération, il ne s’agit pas de dire qu’il y a une unique solution parce que précisément chacun est différent et a besoin d’avoir le comportement qui lui va le mieux.
Ce faisant, j’aimerais revenir sur la question de l’évaluation positive et de l’attitude de l’enseignant pour aborder ensuite les conséquences de celle-ci sur l’estime de soi des élèves.
Lorsque l’évaluation est apparue dans les classes de maternelle dans les années 90, bien des enseignants ne souhaitaient pas s’y inscrire, la peur d’enfermer trop tôt les petits élèves dans des cases définitives, la peur de calquer sur les grandes classes un fonctionnement de mesure et de jugement. Progressivement, il a pourtant fallu s’y mettre pour répondre aux exigences institutionnelles. Chacun a fait de son mieux. Cependant, l’évaluation dans beaucoup d’esprits était attachée à l’écrit et nous avons vu arriver de plus en plus nombreuses des fiches de travail qui permettaient de garder trace et de pouvoir évaluer à la manière des autres niveaux scolaires. Des smileys ou bien des ronds de couleurs ont fait figure de notes, et les enseignants ont passé plus de temps à évaluer qu’à tirer parti des résultats obtenus. Les parents se désespéraient de voir les bonhommes mécontents ou les points rouges, les enfants comprenaient qu’ils étaient le signe de moins d’affection pour eux et qu’ils devaient sûrement être de mauvaises personnes dés lors qu’ils ne satisfaisaient ni leur enseignant, ni leurs parents. A la lumière des études récentes sur le développement du cerveau de l’enfant ( voir vidéo Guegen envoyée par Anne J), il est acquis que le stress altère le fonctionnement des circuits en détruisant des neurones. Le changement de positionnement actuel sur l’évaluation cherche à redresser un déséquilibre qui menaçait. Le choix de susciter une évaluation positive prend en compte les conséquences de celle-ci sur l’estime de soi et sur la motivation qui sont indispensables pour réussir dans les meilleures conditions. Mais les représentations ne se déconstruisent pas aussi facilement que nous le voudrions. Effectivement, l’acte d’évaluer est surtout connoté ( et pas seulement en maternelle) par l’idée de redressement, de pointer ce qui ne va pas, de corriger, de marquer le manque, il est encore parfois bien difficile de traduire le mot évaluation par mesure de ce qui est bien, par félicitations et compliments ( réservés aux meilleurs dans l’esprit actuel alors que l’évaluation n’est pas sélection), par regard admiratif, par valorisation. Les études le disent, les petits enfants sont des êtres en construction et toutes les expériences affectives positives agissent sur la production d’hormones qui vont favoriser la motivation, la confiance, le plaisir à vivre et à agir, une plus grande capacité à mémoriser.
Et pour répondre à Valérie, la confiance en soi n’a pas besoin de l’assentiment de l’autre quand ,dans sa petite enfance, l’être humain a reçu suffisamment de signes de sa propre valeur pour ne plus avoir à attendre des autres une fois adulte.
Effectivement, l’estime de soi est un indicateur sur la manière dont on considère sa propre valeur. Lorsqu’on est petit, on ne peut connaître celle-ci qu’à travers les réactions de son entourage : « Si personne ne me dit que j’ai de la valeur, comment vais-je le savoir ? »
C’est dans le regard et l’attitude des adultes que l’enfant perçoit et accumule les expériences émotionnelles, l’enfant fait pour les autres parce qu’il apprend et qu’il a besoin d’être guidé par des adultes en qui il peut avoir confiance, il a besoin d’entendre qu’il a des forces, il a besoin qu’on suscite sa motivation, il a besoin de connaître fréquemment des succès pour les identifier ( comme le disait Isabelle L), il a besoin d’être félicité sincèrement, il a besoin d’avoir des indices sur ce qu’il réussit, il a besoin de secondes chances, il a besoin d’adultes intéressés par ce qu’il sait faire. Toutes ces expériences s’inscriront en lui et lui donneront la force de pouvoir ; ce sentiment de pouvoir qui permet l’autonomie. Tout ce que vous avez décrit comme étant un frein à vos félicitations était de l’ordre de l’autonomie affective : ne pas être dépendant des autres mais pour ne pas être dépendant des autres, il faut d’abord avoir vécu le soutien, la sécurité, l’affection solides et certains enfants ne pourront peut-être ne les trouver qu’à l’école. Enfin, je terminerai mon plaidoyer pour plus de compliments et d'encouragements à l’école par une précision car Fatiha a nuancé en disant qu’elle les attribuait selon les élèves, je crois que c’est une erreur, TOUS les enfants ont besoin de s’entendre dire qu’ils ont fait quelque chose de bien.
Reste à définir comment on met en place des situations d’évaluation positive, quels outils construire, à quel rythme, pour quelles priorités et qu’est-ce qu’on en fait ? Je propose de continuer ce programme après les vacances et je vous remercie d’avoir participé à ce « défrichage » autour du concept d’évaluation.