Et la subjectivité dans l'observation ?
Dans le précédent article « Et le cadre dans l’observation ? », une remarque de Catherine a soulevé un aspect de la difficulté que représente ce nouveau challenge et je lui ai répondu que l’observation renvoyait à des insuffisances qui pouvaient mettre mal à l’aise. Cette pratique n’est en rien une science exacte, y compris quand elle se veut la plus instrumentée possible ( but, cadre, grille d’observation…). Les enseignants sont souvent d’anciens bons élèves, ils ont le souci de l’application et de la précision, le désir de la perfection également. C’est pourquoi une pratique qui n’offre pas des repères stables, qui renvoie à ses propres incompréhensions peut « déranger ». Elle sort de l’ordre habituel où la place de l’enseignant est au centre, acteur qui maitrise et assure, plus à l’aise pour capter les manques de ses élèves afin de pointer de façon académique l’espace du vide à combler. C’est donc un défi personnel à relever lorsqu’ on s’engage dans l’observation.
Il est préférable de laisser ses certitudes, d’abandonner ses croyances et de suspendre son jugement. Cet exercice est une révélation pour soi-même, il interroge les doutes et demande de commencer par se connaître pour aller à la rencontre de l’autre. Ai-je en moi la capacité à comprendre l’autre dans un effort objectif ? Puis-je l’observer sans y mettre ( le moins possible) mes préjugés ou mes attentes ?
Voilà le biais auquel personne n’échappe parce que chacun se projette dans celui qu’il regarde en le voyant tel qu’il pense le connaître , en lui attribuant des intentions ou en conditionnant ses réponses à ses attentes. La subjectivité est présente et active, inutile de croire à une parfaite neutralité, c’est impossible. Chacun a ses filtres façonnés à sa personnalité, à son éducation, à son environnement, à sa culture. Notre propre sensibilité va agir et se reconnaître dans telle personne (projection) ou bien induire ce qu’on pense d’elle (transfert). S’il est impossible de l’éviter, au moins en prendre conscience peut atténuer le phénomène dès lors qu’on s’interroge sur nous-mêmes et nos réactions.
Voici l’exemple d’une expérience menée qui démontre l’influence de nos schémas dans l’observation.
L'expérience de Rosenthal et Jacobson
En début d'année, les auteurs annoncèrent la liste des élèves retenus comme étant précoces aux professeurs, à la suite d'un pré‐test de performance banal assigné à tous les enfants (ces élèves étaient en fait pris au hasard, certains bons, d'autres moyens ou mauvais). Ce faisant, Rosenthal et Jacobson créaient chez les professeurs une « attente » concernant les futurs progrès des élèves : soit une « attente positive », soit « pas d’attente ». Les auteurs partaient de l'hypothèse suivante : en indiquant au professeur qu'un élève est précoce et peut réaliser d'énormes progrès durant l'année (que ce soit vrai ou non), on va développer chez ce professeur un état mental positif (de l'espoir ?) visant cet élève : une certaine forme de préjugé basé sur une connaissance censée être valide (le résultat au test : les résultats, et le test, étaient valides, mais de faux résultats étaient donnés aux professeurs !).
Au début du troisième trimestre, les auteurs faisaient passer de nouveau le test de performance aux enfants (post‐test) puis mesuraient la différence de performance entre pré‐ et post‐ test. Ce faisant, les auteurs se donnaient les moyens d'étudier les effets de l'attente positive du professeur sur un élève, quel que soit son niveau réel... ils constatèrent d'ailleurs :
‐ que tous les élèves présentés comme précoces avaient progressé significativement, qu'ils aient eu un mauvais résultat, ou un bon, au premier test ;
‐ des relations préférentielles entre ces élèves et les enseignants ;
‐ des systèmes de communication dans lesquels ces enfants désignés ont eu un rôle plus important que les élèves non désignés comme précoces (ces systèmes, comme par exemple garder la classe, gérer les activités, etc., se mettaient en place le long de l'année, comme dans toute classe) ;
‐ une homogénéisation des résultats de ces élèves : lorsque les élèves censés être précoces faisaient des erreurs, celles‐ci étaient minorées par les enseignants !
Source : https://www.reseau-canope.fr/climatscolaire/uploads/tx_cndpclimatsco/effet_pygmalion.pdf
Accepter le doute, accepter nos insuffisances et savoir que nous avons des relations intersubjectives avec autrui et s’en servir pour l’aider à atteindre sa réussite plutôt que sa mise en échec, tel est l'objectif.
Toute observation est basée sur la perception et nous agissons différemment selon nos attentes, selon notre motivation, selon notre contexte. Alors, lorsqu’on établit le cadre d’observation, ne faut-il pas rechercher comment se prémunir (autant qu’il est possible) des pièges de nos propres limites ? En quoi une observation sera plus ou moins objective ? Et comment l’observation devient un outil de lutte contre l’échec scolaire ?