pédagogie de l'observation
Comme promis dans la dernière préparation de l'année, je vous propose un point de vue et une façon de faire dans un domaine rarement conseillé qui est celui de l’observation de ses élèves.
Pourquoi ?
Il me semble essentiel de connaître individuellement ses élèves.
Nous savons que notre regard est souvent attiré par ceux qui s’agitent, qui font du bruit, qui agressent, qui nous sollicitent mais est-ce suffisant pour savoir qui l’on a en face de soi ? Tous ceux qui désirent passer inaperçus y parviennent très bien ,bref que savons-nous de nos élèves , de leurs relations en dehors de notre regard un moment accroché , de leurs comportements, de leur type de communication et ces indications ne pourraient -elles pas nous aider à mieux les aider ?
Notre métier est basé sur la transmission du savoir et des savoir-faire. La formation proposée est orientée en ce sens ; sans remettre en question cette mission fondatrice, il m’est apparu au fil de mes années d’enseignement que la relation enseignant –élève était fondamentale dans les processus d’apprentissage. Ainsi certains élèves pouvaient se révéler incapables d’apprendre avec un enseignant alors qu’ils avaient réussi avec un autre. Différents facteurs entrent en ligne, mais ma conviction profonde est que le lien intime ne s’est pas noué.
Ce lien dépend de la connaissance , de l’intérêt qu’on porte à autrui. Souhaiter mieux connaître et mieux comprendre chaque élève est un processus interactif, l’enseignant se questionne et l’élève ressent cette motivation, sa personne prend existence, elle n’est pas noyée dans une masse, il est un être unique. En outre, l’enseignant prenant le temps de l’observation signifie à l’élève son désir de l’aider, de tenir compte de sa façon d’être, de le comprendre dans sa diversité. Par ailleurs, il s’oblige à être attentif , cette attention sur un temps précis se prolonge dans d’autres moments et contribue à une recherche de la meilleure attitude ou de réponses personnalisées.
Qui ?
TOUS les élèves, aucun ne doit être exclu de cette démarche pédagogique. On a toujours tendance à s’intéresser à ceux qui posent problème, ce qui est cohérent dans la mesure où troublé par le comportement de certains ou les difficultés des autres, notre enseignement s’en ressent et un besoin d’harmonie et d’équilibre devient nécessaire. Cependant ,certains élèves se montrent effacés, ne troublant en rien la classe alors qu’ils ont aussi besoin de notre intérêt et de nos réponses à leur trop grande discrétion. Enfin, pour une classe solidaire et cohérente , l’enseignant doit s’intéresser à tous et leur consacrer le même temps d’observation. Rien n’empêche de commencer par ceux qui nous interrogent le plus.
Où ?
Afin de pouvoir observer dans les meilleures conditions, j’avais opté pour la salle de jeux ou salle de sport, espace ouvert, suffisamment grand pour laisser jouer tous les élèves avec du matériel fourni et divers. Cependant, c’est tout aussi possible dans la classe ou dans la cour de récréation.
Quand et comment ?
Chaque semaine, une séance d’observation est programmée sur le créneau EPS.
Une séance d’observation se consacre à un seul élève.
Durant 20 à 30 mn, l’enseignant propose aux élèves de jouer avec le matériel mis à disposition, il indique qu’il regarde sans dire qu’il observe l’un d’entre eux. Il donne les règles de la séance ( « je ne crie pas », « je ne fais pas mal aux autres »), au signal de fin de séance, toute la classe range le matériel.
Durant le temps imparti, les élèves jouent et l’enseignant positionné dans un coin de la salle note sur une grille d’observation ( cf: fiche d’observation) tout ce que fait l’élève.
Ses interventions se limitent au respect des règles ( éventuellement il soustrait un élève du groupe s’il se montre irrespectueux pour un temps limité 1 à 2 mn).
Il laisse les élèves se confronter tant qu’il n’y a pas de violence ( ex : deux élèves se disputent un objet, ils tirent chacun de leur côté, l’enseignant n’intervient pas).
Il suit des yeux son élève et note de façon non analysée tous ses faits et gestes en les resituant dans la grille d’observation( ex : il interpelle un autre enfant – colonne relation aux autres, il empile des anneaux – colonne relation au matériel, il court partout- colonne relation à l’espace, il demande de l’aide à la maîtresse – colonne relation à l’adulte).
Et alors ?
Le retrait choisi de l’enseignant est ce qui perturbe le plus souvent lorsqu’on commence ce type de travail. Les enseignants sont tellement habitués à être omniprésents , maîtrisant tout , contrôlant tout que cette attitude d’absence physique « culpabilise » ( je suis là et je ne fais rien avec mes élèves) et pourtant , il se passe tant de choses dans cette simple observation que c’est un réel travail bien plus efficace que certaines de nos gesticulations qui nous font croire que nous agissons alors que nous sommes si loin de chacun de nos élèves.
Le temps aussi peut paraître long, or il faut de la durée pour que se mettent en place des organisations ou des répétitions de comportement ( exemple : des élèves particulièrement passifs sont sollicités par d’autres, puis finissent par entrer dans le jeu après une longue observation de leur part ).Il est donc intéressant de prendre son temps. Enfin, ces minutes sont importantes pour entrer dans l’univers de l’élève.
Le choix d’un créneau EPS se justifie par l’utilisation de la salle et par la dépense physique proposée aux élèves, effectivement, le cadre pédagogique n’existe que par l’observation, cependant au cours de l’année l’organisation de jeux collectifs autonomes montre la capacité du groupe à vivre ensemble, objectif hautement valorisé.
Se faisant cette observation donne de précieux renseignements sur l’enfant lui-même, d’abord dans une première étape, il permet de poser son regard et de prendre son temps, dans un deuxième temps, de reprendre ses notes et de faire des constatations ( ex : la colonne relation aux autres est particulièrement peu remplie, cet élève est donc seul , ne va pas vers les autres , ne leur parle pas ….).
Le principal travail consiste ensuite à tenter d’imaginer des réponses personnalisées, il ne s’agit en aucun cas de faire une analyse psychologique, mais de partir des constatations et de réfléchir à sa propre attitude vis-à-vis de cet élève ou de propositions collectives ou de situations pédagogiques visant à l'aider . C’est la partie la plus complexe qui demande un travail de synthèse ( exemple : j’ai observé que cet élève ne va pas vers les autres, comment je mets en place des situations l’incitant à le faire ou que vais –je lui dire pour l’encourager à le faire ?). C’est l’expérience progressive de l’observation qui amène des réponses adéquates. Afin de ne pas décourager les jeunes que je recevais dans ma classe et qui étaient vivement intéressés par ce travail d’observation, je leur disais que dans un premier temps , le fait de remplir la grille puis de la relire était suffisant pour mieux connaître l’élève , viendrait ensuite le temps où des réponses émergeraient mais qu’ils devaient au moins observer.
En conclusion, le travail proposé est le fruit de plus de 15 ans d’observation avec des remaniements, des évolutions dans la grille d’observation. Ce que je veux témoigner dans cet article, ce sont les vrais changements constatés suite aux observations des élèves, il y a un phénomène fascinant qui m’a toujours étonnée malgré l’habitude : j’ai le sentiment que mon seul regard aide l’élève, que nous nous comprenons sans mot et c’est une grande satisfaction. Tout se passe dans l’intériorité et je ne peux résister à vous faire lire un extrait de Chagrin d’école de Daniel Pennac :
-…Il y a une méthode ?
-C’est pas ça qui manque , les méthodes, il n’y a même que ça les méthodes ! Vous passez votre temps à vous réfugier dans les méthodes, alors qu’au fond de vous vous savez très bien que la méthode ne suffit pas. Il lui manque quelque chose.
- Qu’est-ce qu’il lui manque ?
- Je ne peux pas le dire.
- Pourquoi ?
- C’est un gros mot.
- Pire qu’empathie ?
- Sans comparaison. Un mot que tu ne peux absolument pas prononcer dans une école, un lycée, une fac ,ou tout ce qui y ressemble.
- A savoir ?
- Non , je ne peux vraiment pas …
- Allez, vas-y !
- ……
-…..
-L’amour.
Il y a une dizaine d’années, un inspecteur m’avait dit à propos de mon travail d’observation : « Vous êtes en avance de dix ans ». Dix ans plus tard, la porte est ouverte , ceux qui désirent essayer auront mon soutien et pourront contribuer à faire avancer par leurs remarques , leurs critiques, leurs suggestions une vision de proximité de l’enseignement.
Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. Sénèque