cibler le langage comme priorité première: le programme d'Isa
La seconde proposition de cette série reprend une priorité ciblée par les programmes de l’école maternelle « Le langage en maternelle ». Mon inspiration pédagogique est Philippe Boisseau, lui-même influencé des travaux de Lentin, Bruner, Chomsky, ce qui me fait penser à la citation de Dali : « Ceux qui ne veulent imiter personne ne créent jamais rien »
Le constat :
« Il est attesté que les inégalités scolaires et les difficultés ultérieures de nombre d’élèves ont leur source dans le maniement du langage et de la langue » Le langage à l’école maternelle CNDP-CRDP
Chacun a conscience de ce fait, chacun a conscience de ses responsabilités en tant qu’enseignant, néanmoins le langage est comme un tout utilisé en permanence dans la classe mais difficile d’isoler en tant qu’objet d’apprentissage.
La situation de référence langagière qu’est le regroupement est trompeuse, c’est évidemment le moment où on se réunit pour parler, pour échanger mais l’observation précise et sincère montre que c’est une petite partie des élèves de la classe qui s’y exprime. Il est illusoire de penser que ce temps permettrait un travail déterminant pour aider à construire sa langue orale.
De la même façon, il est habituel de s’adresser à chacun des élèves et de le solliciter durant les activités d’ateliers, mais est-ce un temps d’observation, d’écoute et de mesure des difficultés et des progrès ? Parfois oui bien-sûr mais jamais de manière répétée et suivie.
Or c’est la régularité qui permet la réussite.
Evaluer le niveau de langage de chaque élève est essentiel mais qu’est-ce qu’on en fait et sur quoi est-il important de stimuler l’élève ?
Les enseignants ont souvent le sentiment de ne pas avoir le temps. Avec des effectifs qui ne cessent d’augmenter la tâche langagière paraît encore plus insurmontable, parler à chacun des élèves au cours d’une seule journée est un défi qui peut être rangé et étouffé dans la bonne conscience des séances de regroupement. L’enseignant parle et peut avoir le sentiment de parler à chacun, mais le langage se construit dans l’échange direct et individuel, l’enfant a besoin de savoir qu’on ne s’adresse qu’à lui.
Il faut pour cela mettre en place des situations d’apprentissage du langage où la tâche est de parler en face à face.
J’ai longtemps été dans la situation que je décris, celle d’être convaincue que le langage était déterminant dans le futur apprentissage de la lecture et de l’écrit et plus largement dans la construction de la personne mais j’étais aussi dans un flou total sur la manière de travailler réellement son acquisition. Comme à mon habitude, j’ai testé des procédures et notamment les petits groupes conversationnels qu’on retrouve chez Agnès Florin. J’ai introduit la marionnette dans la classe parce que j’avais observé les réactions positives des élèves petits parleurs. J’ai commencé à faire des bilans langage en évaluant la construction des phrases ( pas de phrase, une phrase sujet+verbe, une phrase sujet+ verbe+complément, plusieurs phrases) mais malgré ces outils, j’avais le sentiment de ne pas travailler suffisamment le langage comme objet d’apprentissage et j’étais perplexe lorsque je songeais à tous les exercices d’écriture qu’on donne aux élèves pour former cette compétence et combien l’acquisition d’une capacité si essentielle à leur avenir ,celle de parler ne correspondait pas à un travail spécifique.
L’album langage et la marionnette de classe au service du langage
J’ai découvert Philippe Boisseau au cours d’une conférence pédagogique et j’ai été conquise. Il m’apportait la compréhension et la clarification. Il expliquait comment encourager la construction de la syntaxe de manière détaillée et réconfortante. Enfin, j’avais le sentiment que la chose était possible. Mais il fallait faire des choix d’organisation. Evidemment quand on travaille en atelier langage, on ne fait pas autre chose et c’est aussi une posture qui n’est pas encore assez développée (comme celle de l’observation). L’élève agit peu, il parle, cette situation déconcerte les enseignants qui ont pour habitude de garder trace ( il y a pourtant l’album langage), un sentiment de ne pas avoir « travaillé » domine. Par conséquent, cet effort d’organisation se heurte encore aux représentations du métier, d’autant plus que la répétition de la situation est le gage de l’efficacité.
Les conditions préconisées par Boisseau sont passées dans mon fonctionnement avec l’ajout de ma perception et de mes idées et ainsi sont nés les ateliers album langage ( album écho chez Boisseau).
Chaque jour, de manière ritualisée, un atelier langage est mis en place durant 20 minutes au cours duquel d’abord 4 élèves participent puis au fur et à mesure que les élèves quittent le groupe, d’autres le rejoignent ce qui permet de faire parler environ 6 ou 7 élèves. Chacun possède un album langage, des photos d’activités faites en classe sont étalées sur la table. Le groupe observe les photographies et chaque élève choisit SA photo à coller dans son album langage. L’enseignant demande à l’élève de la commenter afin qu’il écrive sous celle-ci.
L’enseignant a un objectif syntaxique (acquisition de l’utilisation d’un pronom ou d’un temps ou d’une complexification de la phrase en utilisant un connecteur de type « parce que …. »).
Tout l’intérêt de cette situation est l’étayage de l’adulte qui va accompagner l’élève et se situer dans sa zone proximale de développement, c'est-à-dire à la portée de ses capacités actuelles. C’est dans la reformulation appelée feed-back par Boisseau que l’enseignant élève le niveau de langage de l’enfant puisque celui-ci reprend à son compte la phrase suggérée.
L’intérêt des photographies des activités de classe est qu’elles constituent un excellent support pour l’élève qui a plaisir à redire une situation vécue. Pour parler, il faut avoir quelque chose à dire, et l’on sait combien les enfants de 3-4 ans sont centrés sur leur vécu d’une part et qu’ils n’ont pas encore accès à la mise en pensée de leur vie d’autre part. C’est pourquoi l’évocation est si difficile chez eux et qu’il faut commencer par les images évocatrices qu’ils se contenteront d’abord de décrire.
Contrairement à ce que certains peuvent penser, deux à trois minutes par élève suffisent, un échange court mais efficace est un très bon point d’appui pour déclencher des progrès. La régularité est plus importante que la durée de l’échange. C’est pourquoi il est conseillé de faire participer en priorité les élèves en plus grande difficulté même si tous les élèves possèdent un album langage.
Dans cette organisation, les bilans langage prennent tout leur sens et sont proposés chaque trimestre. Ils permettent de décontextualiser pour mesurer les effets de l’étayage.
Dans le même ordre d’idée de décontextualisation, la marionnette qui est présente dans la classe dés la rentrée scolaire et qui est un interlocuteur privilégié des élèves devient un outil d’apprentissage du langage dés lors qu’elle va aller de famille en famille durant la dernière période de l’année ( période choisie pour favoriser l’expression puisque le langage minimum est acquis et surtout que les élèves sont dans la phase d’entrée dans le langage d’évocation, préalable indispensable pour parler d’un évènement en son absence). Au cours de ce projet avec la marionnette, les élèves font chacun un récit de vie devant le groupe. Ils racontent ce qu’ils ont fait avec celle-ci, ils sont tenus par un contrat d’accueil qui les oriente dans la création de situations favorables à nourrir le langage. Le récit est écrit en dictée à l’adulte et constitue un épisode d’un livre : projet de la classe.
Cibler le langage comme priorité première est une orientation pédagogique fondamentale, mes préparations lui font une large place. Il s’agit pour moi d’une conviction que tous les contre-arguments de temps, d’effectifs, d’organisation ne peuvent atteindre. Je reconnais la difficulté à changer ses pratiques, l’inconfort d’une démarche nouvelle qui remet en cause les habitudes et les modalités d’enseignement mais c’est au prix du mouvement que l’école s’adaptera aux besoins des élèves.
Ce blog est un lieu de soutien, c’est pourquoi toutes celles et tous ceux qui n’ont pas encore osé et qui sont tentés par l’expérimentation des ateliers langage et des récits de vie trouveront auprès de moi l’accompagnement nécessaire pour ajuster leur pratique nouvelle.
Les détails sur ces pratiques sont à retrouver dans les liens suivants ( album langage-bilan langage – récits de vie) mais aussi dans mon livre « La boîte à outils indispensable pour bien débuter en petite section »
Le prochain article de la série « Le programme d’Isa » correspond au troisième pilier de cette plate-forme : associer les parents en tant que partenaires.