interrogeons-nous sur notre légitimité
Le débat sur les rythmes scolaires a ouvert des vannes.
Ici et ailleurs, une école respectueuse des enfants s’est avérée envisageable et même si parfois l’utopie affleurait , elle servait la cause parce qu’il n’y a que dans les rêves que la création émerge.
Les discours débordaient du strict problème du temps pour élargir à la formation, aux programmes finalement à la refondation globale de l’Ecole.
Alors oui, l’enthousiasme et l’énergie sont à conquérir parce que pour le moment, le sentiment qui prédomine chez les jeunes enseignants en difficulté est certainement le manque de légitimité.
Ce n’est jamais exprimé de cette façon, et pourtant c’est un constat.
L’angoisse (le mot est fort mais il est juste), face aux réactions des parents est l’expression d’une autorité mise à mal. Dés lors que l’enseignant redoute, soupçonne, dénonce l’attitude des familles face à ses choix pédagogiques, il doute de son professionnalisme, il ne se sent pas assez légitime pour défendre son point de vue en l’argumentant.
L’angoisse ( le mot est fort mais il est juste) face à ses élèves est l’expression d’un sentiment de ne pas être à la hauteur, pas comme il faudrait être selon des critères obscurs basés principalement sur ses propres souvenirs, ses propres représentations.
L’angoisse ( le mot est fort mais il est juste) face aux collègues et à leurs supposées attentes ou meilleure maîtrise des élèves est l’expression d’un sentiment d’incompétence qui anéantit l’enthousiasme. L’enseignant se disqualifie lui-même dans la solitude recherchée.
« Je suis légitime parce que j’en ai acquis le pouvoir »
Le sentiment de pouvoir naît dans le regard de l’autre.
Le jeune enseignant a suivi des études longues et a décroché un concours difficile. Ceux-ci devraient renforcer sa légitimité, or malgré ce parcours brillant, il semble manquer à son estime l’expérience pratique. Celle-ci donne à la fois le droit au soutien avec le parrainage d’un professeur expert, mais aussi l’entrainement sans « risque ». Une formation digne d’un grand enjeu de société ne peut balayer cette étape expérimentale. C’est une profonde incohérence qui suggère que le métier serait d’une telle simplicité qu’il suffirait d’être dans une classe pour savoir la faire. C’est une image désastreuse pour celui qui peine .
Et que dire des déclarations absolument affligeantes d’un ministre de l’Education Nationale qui prononça ses propos : « Est-ce bien logique de faire passer des concours bac +5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches… » en parlant des enseignants de Petite Section. Un tel manque de connaissance des enjeux pédagogiques de cette classe semble impossible à ce poste et le préjugé qui voudrait que plus les enfants sont petits et moins il y a besoin de diplômes révèle toute la considération portée à la prise en charge de la petite enfance. Dans un contexte de dévalorisation du métier, il semble difficile de construire sa légitimité.
Les familles ont des craintes, se montrent exigeantes parce que l’avenir de leur enfant se joue à l’école d’après ce qu’elles entendent et l’enseignant n’a pas un métier si difficile , il peut donc s’occuper correctement de LEUR enfant.L'incompréhension et le manque de dialogue ne permettent pas la reconnaissance réciproque nécessaire à un partenariat en faveur des enfants.
Le sentiment de pouvoir naît dans le regard de l’autre.
Alors restent les collègues, ceux sur qui les jeunes devraient pouvoir compter pour prendre de l’assurance , pour trouver l’appui de leur légitimité. Mais le métier d’enseignant est si malmené que chacun s’occupe d’abord de faire « tourner » sa classe. Le sentiment de solitude est fréquemment cité dans les difficultés rencontrées. Pourquoi est-il si présent alors que les personnes se trouvent dans un groupe ? Elles sont ensemble, les unes à côté des autres, mais elles ne se sentent pas les unes avec les autres, les unes pour les autres. Choisir de travailler avec des enfants interroge sur sa propre relation aux adultes , peut-on en conclure que la solitude doit en découler ?
Finalement, le groupe devient un poids , l’émulation se transforme alors en rivalité anesthésiante.
La légitimité a été donnée par les diplômes, elle devrait être attribuée par la société qui dit toute sa considération pour ce métier difficile et surtout elle devrait être prise par ces enseignants qui se reconnaissent le droit d'exercer leur métier " Je me sens professeur".
Aujourd’hui, des changements semblent possibles, chacun espère une voie, on se permet de rêver mais n’avons-nous pas la responsabilité d’aider aux transformations ?
Qu’allons-nous pouvoir faire chacun à notre place pour redonner la légitimité à tous ces jeunes professeurs qui arrivent dans les écoles à la prochaine rentrée ?
Comment allons- nous restaurer la considération du métier ?
Qui peut dire comment dans son école le groupe a réussi l’élan collectif ?
Oserons-nous croire que nos rêves ne sont plus des rêves ?
Interrogeons-nous sur notre légitimité….