la construction des règles chez l'enfant (2)
Dans le précédent article sur la construction des règles chez l’enfant, j’explique l’immaturité dans laquelle se trouvent les petits enfants face à la prise en compte de l’autre pour intérioriser logiquement les règles. Ils vivent dans un égocentrisme normal et n’ont pas encore atteint un développement suffisant pour avoir la capacité à se mettre à la place de l’autre. Il est donc important pour les adultes de poser les bases du savoir-vivre en tenant compte de cette connaissance théorique. Cependant, il n’est pas question d’en différer l’apprentissage, bien au contraire, le petit enfant a besoin que son entourage le sécurise en lui posant des limites qui le protégeront des autres , mais aussi de lui-même et de son désir de toute-puissance qui l’envahit et dont il doit prendre le contrôle sous peine de ne pas se socialiser. Progressivement, l’enfant va prendre des habitudes de respect des règles pour atteindre la pleine compréhension de leur logique, de leur légitimité, de la notion de justice qu’elles renvoient et sa propre capacité à en élaborer.
Comme je l’écrivais dans l’article précédent, la règle est un système de régulation sociale, elle varie selon les sociétés, selon les systèmes de pensée, selon la communauté de vie mais le but est de trouver l’harmonisation des manières d’être les uns avec les autres.
Sachant que l’enfant nait avec son potentiel d’agressivité légué par son héritage archaïque de défense et de survie, l’adulte ne peut couper toutes les ailes à cette force de vie. Chaque individu va se constituer une personnalité originale, et la force de vie est au service de la créativité dés lors que l’agressivité a trouvé ce moyen d’expression. Mais le petit enfant qui arrive à l’école ne sait pas encore contrôler ce penchant. Parfois il a déjà vécu de l’agressivité au sein de sa famille et ceci a eu pour conséquence d’agiter la sienne. L’école devient le lieu qui va lui permettre d’apprendre à ne pas l’extérioriser par des comportements violents tournés contre les autres et parfois aussi contre lui-même.
Afin de travailler la construction des règles, il me semble intéressant de se pencher sur les situations qui en majorité déclenchent l’agressivité chez l’enfant.
Elles ne sont pas si nombreuses et devraient faire l’objet de toute notre attention afin d’anticiper nos comportements.
Le conflit pour la possession d’un objet est une situation incontournable pour qui fréquente les petits enfants.
C’est pourquoi dés la semaine 2 je vous propose d’établir la règle « Je prête » qui instaure la notion de partage. Celui-ci n’est absolument pas naturel et demande de la souplesse parce que le petit enfant utilise les objets comme prolongement de lui-même, il est encore dans une construction fusionnelle telle qu’il était avec sa maman et il déplace ensuite cet état sur ses objets (doudou, cartable….). C’est pourquoi l’adulte pose les bases, donne la règle mais ne se montre pas rigide (dans un prochain article, nous aborderons les sanctions). L’éducation demande beaucoup de patience et de capacité à répéter encore et encore.
Le Non de l’adulte est aussi un formidable déclencheur d’agressivité. C’est un constat, cela ne veut pour autant pas dire qu’il faut tout accepter et ne rien refuser. Certains parents mais aussi éducateurs inquiets de la réaction négative de l’enfant ont choisi l’évitement et se retrouvent dans des situations de plus en plus compliquées où l’enfant devient petit à petit le tyran qui décide et exige. Si l’enfant ne connait pas la frustration, il ne connaitra jamais le désir et ne pourra devenir un être de projet et un adulte épanoui. C’est pourquoi les adultes doivent avoir le courage d’affronter la colère et les cris des enfants à qui il est dit : « NON ». Mais le « Non » est constructif s’il est adapté aux enfants, un environnement où les adultes interdisent en permanence est déstructurant, l’enfant a besoin d’explorer, de manipuler, d’être curieux et inventif . C’est pourquoi l’environnement doit être pensé de manière à établir une autorité sans autoritarisme.
Ainsi dans votre classe, lorsque vous observez que vous dites Non très souvent , interrogez vous sur la manière de changer cette attitude. Pour son efficacité, le « NON » doit se faire rare. C’est toute la difficulté d’équilibrer l’interdit et le permis.
De la même manière, le refus d’un petit copain peut déclencher la violence, je vous propose en semaine 7 d’aborder cette difficulté avec vos élèves.
La promiscuité est aussi une source de conflit et d’agressivité, en ces temps de rentrée , lorsque je lis les effectifs de certaines de vos classes, je suis en colère contre les décideurs qui bafouent les règles de bien-être de nos petits élèves au risque que cette violence qui leur est faite ne puisse trouver une issue réparatrice. Et c’est donc à vous que revient la charge de créer un espace individuel suffisant pour chacun de vos élèves.
Une autre cause de l’agressivité des enfants est leur propre difficulté à faire une tâche. L’apprentissage de la patience est un long chemin et tout comme il croit à sa toute-puissance, l’enfant reste sur le mode du désir et de son assouvissement immédiat. Il ne supporte pas de ne pas obtenir ce qu’il exige. On l’observe lorsqu’il s’agit d’attendre son tour, mais aussi dans son propre fonctionnement face aux tâches. Le petit enfant a besoin d’être encouragé, valorisé et incité à la persévérance. C’est donc une attention particulière qui est portée aux situations à mettre en place pour développer leur capacité à poursuivre malgré l’échec ou la difficulté.
La liste n’est sûrement pas exhaustive mais il me semble que ces déclencheurs sont ceux qu’on retrouve le plus fréquemment.
L’intérêt de les lister est de vous permettre de prendre le recul nécessaire face à ces situations conflictuelles et de changer votre angle de vue. L’être humain agit beaucoup par automatisme, nous ne pensons pas toujours à changer notre mode réactif et nous nous plaignons toujours des mêmes situations.
Cet éclairage se veut grossissant pour mieux penser la construction des règles chez vos élèves grâce à votre réflexion et parfois vos propres remises en question.
La semaine prochaine, l’article s’intéressera à la mise en place des règles et à la réflexion sur les sanctions.