la construction des règles chez l'enfant (3)
Continuons la série d’articles sur la construction des règles chez l’enfant, dans le premier article j’explique où en est le petit élève qui arrive dans la classe à 3 ans , sa difficulté à se mettre à la place de l’autre dû à son égocentrisme qui correspond à son stade de développement. Celle-ci fait obstacle à l’intériorisation des règles et l’adulte va donc devoir représenter la règle par son autorité et la mise en place d’un cadre. Dans le deuxième article, je propose d’identifier les situations qui vont favoriser la transgression et l’expression de l’agressivité. Les ayant identifiées, l’adulte va tenter d’anticiper et construire les limites visibles qui protégeront l’enfant et l’inciteront à progresser dans le contrôle de lui-même pour sa socialisation.
L’enseignant va poser le cadre qui est indispensable et ne peut être décidé au moment des faits mais bien en amont, pour que lors de la survenance d’une attitude transgressive il ait déjà anticipé sa propre réaction.
C’est ce que j’appelle le professionnalisme. Un parent réagit intuitivement puis se décide à clarifier les règles au fur et à mesure des réactions enfantines. Un enseignant est un professionnel ,comme pour sa pratique il a écrit ses préparations, pour le cadre de sa classe, il a défini les limites au préalable. Malheureusement la formation ne l’aura pas toujours guidé dans cette voie fondamentale pour enseigner, le laissant réagir à l’instinct avec ses propres ressentis et ses propres failles. Or, tant qu’il ne s’est pas penché sur cet aspect de son travail, il risque de peiner, d’être injuste, et insatisfait.
Quelques grands principes me semblent essentiels pour construire des règles.
Celles-ci doivent être précises et établies, c'est-à-dire qu’elles ne tombent pas du ciel mais que les élèves les ont entendues formuler par l’enseignant qui les a introduites à l’occasion d’un travail ou d’une transgression.
Elles doivent être énoncées le plus possible en positif « Je range », « Je prête », à l’exception des interdits fondateurs qui concerne le respect de l’autre et la sécurité « Je n'ai pas le droit de faire mal» «Dans la classe, je parle, je ne crie pas ». Ce choix du positif est l’appel à ce que l’enfant intériorise la bonne attitude et ne soit pas tenté par opposition à défier la règle, l’interdit est incitatif pour certains enfants.
Il est préférable qu’elles soient peu nombreuses. L’accumulation expose à la dilution des effets.
Elles doivent aussi être pratiques, c'est-à-dire qu’on puisse mesurer leur réalité, dire « Il faut être mignon » est inobservable pour un enfant par contre « Je range » est facilement repérable.
Un point qui me semble très important est qu’elles soient fermes, une fois la règle établie, l’enseignant s’y tient et ne permet pas à certains enfants la transgression alors qu’il aura demandé son respect à d’autres. Chez les enfants et notamment quand ils acquièrent le sens réelle des règles ( plus tard avec leur maturité), le sentiment d’injustice est particulièrement mal vécu et va avoir un effet dévastateur sur le respect du règlement. Bien-sûr, elles pourront évoluer en fonction de l’âge des élèves ou du degré d’autonomie qu’on souhaite mettre en place, mais toujours en ayant prévenu les élèves du changement.
Bien entendu , elles doivent être applicables et appliquées au sens large , c'est-à-dire que l’adulte les respecte aussi, « Dans la classe, je parle, je ne crie pas » est partagé. Nous nous accordons pour constater l’impressionnante capacité que les enfants ont à nous imiter, il est donc essentiel d’avoir conscience de notre exemplarité. C’est un principe d’éducation fort, l’adulte qui assène des règles et n’en respecte aucune n’a pas de légitimité pour les enfants. Notre but est de les aider à intérioriser ces règles et d’en faire des valeurs humaines qui transforment leur conduite spontanée. Quelle crédibilité peuvent-ils nous accorder si nous n’appliquons pas ce que nous défendons ? Pourquoi l’adulte aurait le pouvoir d’être transgressif ? Sa force face à leur faiblesse d’enfant ? Gardons nous d’instiller cela dans leur tête car leur adolescence risquerait d’être un retour difficile sur les principes établis.
Enfin pour finir leurs caractéristiques, je terminerai sur le point le plus important, les règles nécessitent d’être cohérentes, ce qui veut dire qu’elles déclenchent une sanction en cas de non respect. Voilà pourquoi cela me semble important de ne pas en avoir un trop grand nombre, faute de quoi l’enseignant multiplie les situations de rappel des règles et ne peut en gérer efficacement les conséquences. Il est préférable d’avoir des grands principes avec des règles fermes et claires ( agression physique, cris, respect du matériel) plutôt qu’une multitude de petits interdits (exemples : « je ne gribouille pas sur la feuille de mon voisin » « je ne jette pas du sable », « je reste bien assis »……).
A la lumière de ces conseils, nous pouvons reprendre les situations décrites dans l’article précédent et préparer les règles qui s’y rattachent.
- Le conflit pour la possession peut faire l’objet de la règle « Je prête » ou bien « Dans la classe, je parle, je ne crie pas » ?
- Le Non de l’adulte provoque de l’agressivité et peut être rattaché à la règle « Je n'ai pas le droit de faire mal »
- La promiscuité est une source de conflit et peut obliger à instituer la règle « J’ai ma place »
- Et la difficulté à accomplir une tâche provoque chez les petits des réactions négatives, il est nécessaire de proposer une règle de type «Je fais attention au matériel »
C’est simple et clair, inutile de vouloir trop d’explications et de sermons, les élèves n’écoutent plus quand le flot de paroles est trop important. A vous de mesurer l'efficacité de vos règles à la lumière de cet article ou bien venir me donner la contradiction sur un sujet sensible qui laisse parfois bien dubitatif.
Dans le prochain article, je vous proposerai sur le même type une liste des caractéristiques des sanctions pour donner de la cohérence à vos règles et vous proposerai des exemples concrets.