pourquoi, pour qui afficher en classe ?
Ce qui est intéressant dans les réflexions enclenchées au travers des articles théoriques sur l'éducation artistique , c’est qu’elles m’emmènent vers des chemins que je n’avais pas explorés et qui m’ouvrent toujours des perspectives de remise en question de mes choix. Cela me rappelle mes années « maîtresse d’accueil » durant lesquelles les stagiaires m’ont aidée à formaliser, expliquer, justifier mais aussi modifier mes pratiques de classe.
La semaine dernière, j’écrivais un article « La question du regard sur les réalisations artistiques des élèves ? » et je ne pensais pas devoir aller chercher au fond de moi mes véritables motivations concernant l’affichage en classe.
C’est Edith qui a soulevé la question et je l’en remercie car depuis je ne cesse d’envisager mes raisons. J’avoue être prise entre l’idée que l’habitude fait de nous des exécutants (en maternelle, on affiche) et ce que je pensais véritablement faire en exposant les réalisations de mes élèves.
Exposer ce que les élèves font est une reconnaissance, une considération pour leur travail, c’est une façon de leur dire, voilà ce que vous savez et pouvez faire, Je le conçois comme la promotion de leur volonté, de leur désir d’agir et leur goût d’apprendre. C’est la preuve visible et personnelle de leur investissement, c’est pourquoi le prénom comme signature est indispensable. Il n’est pas question de jugement et je l’ai suffisamment exposé dans l’article « Comment encourager sans juger », chacun fait avec ce qu’il est et ce qu’il peut, il n’est pas question de cacher ce qui pourrait ne pas correspondre aux critères de réussite ou de « beauté ». Au contraire, ceci a sa place car il représente la diversité des élèves , leur hétérogénéité. Ce n’est pas parce que l’enfant n’a pas la maitrise de son apprentissage qu’il n’a pas la volonté, ni le désir et si cela est le cas, alors n’est-il pas important de lui donner l’envie de les avoir en le valorisant à travers un affichage qui lui donne sa place parmi les autres. C’est donc en premier lieu pour les élèves que j’ai toujours choisi de montrer.
L’autre raison est sûrement personnelle, j’ai toujours aimé que ma classe soit accueillante et colorée, qu’elle donne un sentiment de bien-être, qu’elle livre l’âme qui y règne c'est-à-dire celle de la culture, C’est pourquoi les œuvres d’art et les livres cohabitaient parmi les réalisations artistiques des élèves, c’était sûrement une manière de me définir en tant qu’enseignante, la classe était à mon image. Sorte de miroir qui me permettait de me sentir chez moi dans un univers connu et stimulant que je voulais partager avec mes élèves et mon atsem.
C’est une des interrogations qu’Edith a soulevée et qui m’a laissée un moment perplexe.
L’affichage est-il à destination des parents ? Je ne peux pas répondre non, ce serait faux. Ils sont également concernés mais dans mon esprit de l’époque et j’ai dû faire un petit effort pour m’y replonger, je ne les voyais pas comme les destinataires . C’est pourquoi je n’ai jamais attendu aucune remarque de leur part. En revanche, quand le parent cherchait la réalisation de son enfant, j’étais ravie de son intérêt au nom de l’élève. Je ne craignais pas les comparaisons comme l’évoque Edith , je pense qu’en cachant le prénom ou en ne présentant pas un travail qui peut sembler moins réussi nous validons les jugements et nous les favorisons.
Vouloir une uniformisation des résultats, c’est penser que les parents jugent notre travail au travers de ses présentations et c’est indiquer que la difficulté nous renvoie une mauvaise image de nous-mêmes. Mais accepter de montrer toute la diversité c’est témoigner de notre confiance et de notre attention à chacun.
Pour moi, montrer notre travail aux parents passe par une cohérence globale et non par un affichage ponctuel qui n’est en aucun cas suffisamment explicite pour comprendre les enjeux pédagogiques. Le cahier de liaison a toujours été dans ma classe le meilleur atout à la communication de ma pédagogie et du travail des élèves parce que de manière hebdomadaire il retrace sous forme condensée et homogène la vie de la classe, les apprentissages et leur articulation.
Enfin, le dernier point d’interrogation qu’Edith a posé est quel travail affiché. Mis à part, tous les affichages fonctionnels, nous nous questionnons sur ce qui est de l’ordre de l’artistique ou non. Et là encore, j’ai été prise de doutes parce que mes évidences devenaient instables. J’ai dû réinterroger mon point de vue. J’en suis arrivée à la conclusion que dés lors qu’on met un travail en composition , c'est-à-dire qu’on demande aux élèves de faire une présentation plastique que ce soit en maths, en graphisme, en découverte du monde, nous sommes toujours dans le domaine « Percevoir, sentir, imaginer, créer », certes la transversalité a permis un apprentissage mais l’élève a dû développer sa perception des graphismes, des couleurs, des formes etc. Le fait même de rechercher l’aspect plastique et créatif pour un affichage place l’élève dans une attitude d’acteur au service d’un spectacle qu’il donne à voir , qui va procurer des émotions à ceux qui le regardent, qui ouvre son monde de pensée à l’autre, n’est –ce pas la fonction de l’art ? Je ne considère pas les élèves comme des artistes (même si parfois on pourrait le croire) mais je considère que notre enseignement les porte vers le regard et le geste indispensables outils de l’art.
Pour être suffisamment claire et pour que chaque point de vue s’exprime comme il est d’usage sur le blog, je prolonge cet article avec l’échange que j’ai eu avec Edith qui a généreusement ajouté des productions qu’elle affiche dans sa classe et ses explications voire interrogations dont je savoure la pertinence.
Personne ne peut affirmer être certain, chacun peut avancer dans sa propre opinion, j’ai avancé grâce à Edith même si ce fut pour argumenter mes choix et clarifier mon positionnement, et je comprends parfaitement le sien. La diversité d’opinion est un gage de liberté.
Voici son propos :
Je n’affiche pas que des productions artistiques, même si parfois la limite
est floue, à cause de la transversalité de certains apprentissages, à cause du
rapport entre "Graphisme" et « Productions artistiques » par exemple. Peut-être
aussi pour donner à voir et décliner la pluralité et la spécificité des domaines
d’apprentissages de l’Ecole Maternelle. Je tente de faire reculer le lieu commun
qui ferait dire « à l’école ils font des dessins » Ce qui suppose une
information (succincte) qui complète l’affichage et une reprise des consignes et
compétences visées au dos du travail. J’aimerais aussi que les parents
m’interpellent plus, sur ce qui est affiché. Je provoque des rendez-vous des
familles à l’école au moins une fois par période pour avoir l’occasion
d’échanger. C’est un début. Je pense que cela fait partie de ma façon de faire
connaître le travail de l’Ecole Maternelle aux familles. Il y a des travaux qui
ne sont jamais affichés car difficilement valorisables esthétiquement. Comme
ça, je pense à la numération
.mais je me débrouille : par exemple faire
illustrer une comptine (dans le sens compter) à la peinture sur un support
coloré et retravaillé pour pouvoir afficher « on a appris à représenter 3
comme 3 petits cochons tout roses »)
Après il y a le point de vue : je n’inscris pas, en général, les prénoms face
visible sur les travaux pour éviter les comparaisons, pour ne pas gêner
certaines familles ou certains enfants. Parce que je ne demande pas aux enfants si ils veulent ou non afficher ce travail, réussi ou non (la plupart du temps réussi) C’est moi qui choisis d’afficher l’ensemble des productions
représentatives d’une étape, ou d’un apprentissage ou d’une recherche collective parce que ça donne à voir le travail réalisé ou la démarche. Le travail
personnel est ensuite décroché et va dans le classeur individuel qui circule
dans les familles, ainsi que dans le cahier de vie. Mon cahier de liaison n’a
pas cette fonction
.mais ce n’est pas immuable.
Et puis est arrivée ma première participation à la Grande Lessive, où le «
cahier des charges » de Joëlle Gonthier est de rendre visible le prénom de
chaque participant en tant qu’artiste qui adhère à l’installation. Et là nous
avons eu cet échange qui me permet de clarifier ma distinction entre ces travaux réalisés pour être affichés dans le cadre de la Grande Lessive, et d’autres travaux dont le but final n’est pas une production artistique. J'ai compris et adhéré à l'idée de signer.
Pour moi l’affichage dans un musée ou dans un lieu d’exposition a un autre sens
que l’affichage dans une école. Et avec la Grande Lessive, on est à l'école,
mais c'est un point de vue artistique que l'on défend.
On a beaucoup à expliquer aux familles sur la production artistique, il y a
souvent confusion.
Peut-être que dans ta pratique Isa tu as beaucoup travaillé avec des œuvres pour
lancer les enfants dans les premiers apprentissages scolaires et tes productions
sont inspirées des artistes que tu connais très bien. Tu as donc l’impression
que tout ce que tu affiches est artistique.
Voilà ce que je peux rajouter, mais je répondrai encore à tes interrogations ou
à tes relances pour appuyer ton article ou pour lancer une discussion.
La conclusion revient à Mr Meirieu :"Je crois que les enseignants doivent entendre que l’art et la culture sont, tout à la fois, la respiration et l’inspiration absolument indispensables dans toute éducation scolaire, ne serait-ce que pour que l’enfant se pose, accède à l’intentionnalité et puisse accéder aux autres savoirs fondamentaux......L’exigence doit être, ici, celle de l’éducation de chaque enfant, de sa rencontre et de sa découverte avec l’expérience artistique et non la satisfaction narcissique que peut éprouver l’éducateur à présenter aux parents et à l’institution « un beau spectacle »" ENTRETIEN PARU DANS « LA SCENE », n°72, mars-avril-mai 2014