Série"début d'année": je me sens découragée
Petit retour en arrière (article ancien datant de 2010 ) mais qui peut encore aider !
Pour la première période , je vous propose une série d'articles sur les questionnements du début, à raison d'un éclairage par semaine.
Voici le programme des affirmations qui seront traitées:
1 Je crains le jour de la rentrée
2 Je ne supporte pas ou plus les pleurs.
3 J'ai peur de parler aux parents.
4 J'ai le sentiment que cela va dans tous les sens.
5 J'ai le sentiment de ne pas avoir d'autorité.
6 Je me sens découragée.
Nous terminons par l'état le plus sombre de nos affirmations, celui qui parfois nous amène dans de grandes difficultés psychologiques et dans une grande souffrance:
JE ME SENS DECOURAGEE
Lapsus orthographique ou non, je viens de me rendre compte que j'ai écrit « je me sens découragée » au féminin, même si ce sentiment est partagé entre femmes et hommes, je pense que ce métier étant largement féminisé, beaucoup plus de femmes sont concernées.
Le découragement est un sentiment qui peut être momentané mais aussi durable.
Lorsqu'il s'inscrit dans le temps, la souffrance qu'il engendre peut entraîner de graves conséquences psychologiques et des remises en question parfois définitives. Cet état provoque un véritable effrondrement intérieur.
Les raisons sont multiples, je pense cependant que la non-maîtrise de sa classe, les débordements incessants des élèves et la mise à mal de son autorité représentent une large majorité parmi les différentes causes.
Quelles sont les hypothèses de compréhension de ce manque d'autorité dont les élèves ressentent si bien les signes ?
Lors de notre rencontre Mercredi , nous avons cherché ensemble à comprendre et il est apparu qu'il était difficile de l' expliquer: Etait-ce dû à l'âge mais dans ce cas, pourquoi certains enseignants traversent leur carrière en subissant leur manque d'autorité ? Était ce lié à la préparation mal faite ou non adaptée , ce qui signifierait qu'en travaillant celle-ci les problèmes s'envoleraient, était-ce un manque de règles qu'il suffirait de mettre en place pour voir une amélioration... bref des raisons extérieures à soi qui , à mon avis, font sûrement partie du problème mais qui ne sont pas suffisantes pour comprendre le manque d'autorité. Nous avons évoqué une raison intérieure qui, à mon sens, est un axe majeur du problème , celui du ressenti concernant sa place en tant qu'enseignant, cette fameuse légitimité qui regroupe la confiance en soi et le regard extérieur ; ce regard extérieur des élèves, des collègues, des parents jugeant notre compétence et que nous intériorisons et interprétons de manière réelle ou imaginaire. «Tenir sa classe » est un des critères de réussite de notre métier, c'est voyant, nombre de personnes jugent à cet indicateur, il semble incontournable. Et c'est ainsi que le découragement arrive quand l'autorité tarde à s'installer, la légitimité est ébranlée, le regard sur soi-même est sévère allant parfois jusqu' au déni de ses difficultés tellement insupportables à voir mais intérieurement si destructeur. Le cercle vicieux est terrible car ce sentiment de manque de légitimité est renvoyé aux élèves qui renforcent encore un peu plus celui-ci en réagissant à cette menace: « Mon enseignant ne me rassure pas, il doute de ses compétences, va-t-il pouvoir m'aider ? » et l'on sait ce que l'insécurité provoque chez les enfants et particulièrement les petits: une agitation incontrôlable. L'enfant montre son état intérieur par une mise en scène corporelle. Et l'on sait aussi combien l'angoisse est communicative, il suffit de songer aux pleurs de début d'année et de constater qu'un seul enfant peut faire pleurer tout un groupe, le même phénomène opère dans l'agitation.
Avant de livrer des pistes de réflexion sur le comment tenter de surmonter son découragement, je voudrais faire une remarque sur ce fameux indicateur de réussite qu'est l'observation extérieure d'une classe dite tenue. J'ai posé la question lors de notre discussion de Mercredi, une classe silencieuse est-elle le signe d'une classe épanouie ? Ceci rejoint mon sujet précédent sur l'autorité et l'autoritarisme. Je pense que parfois les jeunes qui débutent ont cet objectif: avoir une classe silencieuse car leur modèle a été celui-là et ils ont construit cette représentation. Je voudrais les mettre en garde contre cette illusion, ce n'est pas parce que les élèves sont silencieux qu'ils apprennent mieux , qu'ils comprennent mieux, qu'ils sont plus motivés. L'autorité recherche l'instauration de conditions optimum d'apprentissage, chacun a besoin d'un cadre pour se sentir bien et en sécurité, le bruit est une nuisance qu'il faut maîtriser pour le bien-être de tous, cependant il n'est pas question d'exiger le silence , il s'agit de laisser chacun s'exprimer dans un climat calme et confiant. Par moment, le silence vient ponctuer la vie de la classe pour apprendre à accepter ce vide, à l'apprivoiser, à l'écouter mais il n'est pas la référence. La classe est un lieu accueillant de la parole, elle est attendue, recherchée , encouragée. Particulièrement en maternelle, le langage est au centre de la vie de la classe, vouloir brimer celui-ci est contraire aux objectifs de l'enseignant, plus les élèves parlent et plus l'enseignant devrait être satisfait , à lui d'orchestrer cette mise en mots.
Cet éclaircissement fait ( et cela me tenait à coeur), regardons maintenant comment surmonter son découragement.
Pour ma part, la première et principale action à faire est de chercher de l'aide. Oui l'enseignant est seul face à sa classe, oui , il doit chercher comment gagner son autorité, mais dans bien des cas, il ne peut le faire seul au risque de ne jamais y parvenir et connaître une carrière qui confine au désespoir et qui laisse des élèves sacrifiés. La question que j'ai posée Mercredi sur pourquoi les enseignants et les formateurs sont si mal à l'aise avec cette aide à apporter n'a pas trouvé de réponse. Il faut croire que cela dérange de voir un collègue subir son manque d'autorité. C'est une vraie interrogation et le sentiment exprimé par Marie-Claire qui disait : « ...et là j'ai tellement peur de blesser l'autre ... » est partagé par nombre d'entre nous. Pourquoi cette peur est plus forte que l'envie d'aider, pourquoi imaginer que la blessure infligée par la mise en lumière de son manque d'autorité sera plus forte que ce qu'il vit tous les jours dans sa classe ? Cela nous renvoie-t-il à nos propres failles ? Le découragement serait-il communicatif et chacun chercherait-il à se protéger ? Sommes nous nous-mêmes prêts à une remise en question extérieure ? Toutes ces questions nous agitent. Pourtant, en aidant l'autre, on s'aide soi-même. Une classe agitée dans une école n'est pas sans conséquence sur la vie de l'école, les récréations sont plus difficiles, le bruit émanant de la classe en question perturbe les autres classes, les non-dits gênent les relations entre adultes ….
Alors comment aider ? Encore Mercredi, des idées ont été avancées, certaines étant déjà en place dans des écoles, je pense à Isa27 qui nous a décrit un fonctionnement d'école basé sur la coopération entre enseignants et sur le dialogue ouvert, d'autres sont des suggestions envisagées avec pour base: la parole. Il apparaît clairement que le fait de dire ses difficultés sans forcément avoir des réponses est un bienfait important. Le non-jugement permet un sentiment de reconnaissance qui autorise l'enseignant à être en échec. Le groupe soude, il protège, il agit comme une soupape et permet la mise à distance. Les remises en question personnelles sont atténuées par les expériences des uns et des autres qui trouvent écho à leurs propres difficultés et c'est ainsi que Marie-Claire nous dit: « j'ai maintenant une stratégie , il faut leur raconter nos galères », et c'est vrai, cela les inscrit dans une filiation , ils ne sont plus seuls. Les effets de ce partage sont tellement constructifs. Nous le savons et pourtant des résistances subsistent. Oui les effets ne sont pas immédiats, mais notre métier nous apprend que le temps est notre soutien.
L'autre forme d'aide qui est en train de se mettre en place avec tous les jeunes sans formation qui arrivent dans les classes et qui me laisse perplexe est le co-enseignement avec l'aide d'un tuteur. Autant je pense que deux enseignants dans une classe , c'est possible et c'est très enrichissant, autant , cette forme d'aide doit être bien faite parce qu'il y a un fort risque de disqualification de l'enseignant débutant. On le lit d'ailleurs dans le témoignage de Claudine : « On se sent un peu délégitimés en tant qu'enseignant responsable d'une classe, d'autant plus que plusieurs personnes interviennent régulièrement dans nos classes pour nous seconder! ». Effectivement, dans un rapport de tuteur à stagiaire, les places ne sont pas au même niveau et on voit bien le lien de subordination qui agit. Si le tuteur s'interpose dans la tenue de la classe et vient mettre de l'autorité là où l'enseignant stagiaire ne l'a pas fait, il est immédiatement disqualifié pour ses élèves. C'est pourquoi, un co-enseignement n'a de valeur que dans une égalité et une clarification des places. La question de la légitimité est cruciale dans la construction de sa propre image d'enseignant.
Ce qui est ressorti de notre discussion de Mercredi et qui devrait aider à surmonter son découragement, est qu'il faut sortir de la perfection et l'idéalisation de sa propre représentation du métier, c'est un travail sur le deuil du rêve d'enseigner. Dans la vie d'un enseignant, il y a des jours qui ressemblent à notre rêve mais il y a aussi des jours qui n'y ressemblent absolument pas, il faut accepter cette incertitude.
Le travail est une chose mais notre vie n'est pas que cela et je pense sincèrement qu'il est important d'avoir des activités qui nous passionnent en dehors de notre métier, qu'elles soient sportives, culturelles, associatives ….. Ces moments de respiration sont nécessaires à notre bien-être général et agissent sur notre travail indirectement.
Enfin , pour finir et conclure cette série « début d'année », il faut garder à l'esprit le désir du changement pour atteindre le plaisir du changement, quand on se retrouve dans une impasse, plutôt que de continuer à se taper contre les murs, il faut oser changer des choses, tenter, prendre le risque que ça ne fonctionne pas non plus mais garder espoir de trouver.
Comme je le raconte dans un article sur mes débuts, j'ai failli démissionner dans un grand moment de découragement, j'ai trouvé des personnes compréhensives, attentives, et qui m'ont dit: « L'école a besoin de personnes comme vous » ,cette simple phrase m'a fait un bien fou , j'ai remonté la pente et j'ai mesuré l'importance des mots, des simples mots sur le destin d'une vie.
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