connaitre ses élèves pour individualiser l'aide: le programme d'Isa
La première proposition de cette série décrit une démarche difficile mais extrêmement essentielle, celle d’aller à la rencontre de chacun de ses élèves. Comment se donner les moyens d’un tel but ?
Le constat :
L’enseignant a en face de lui une classe constituée d’individualités. Longtemps, le groupe aussi hétérogène soit-il, a été perçu par l’enseignant comme un tout auquel il s’adressait, reprenant les uns et les autres, aidant les uns et les autres, mais ne s’arrêtant pas vraiment sur chacun. Qui honnêtement peut dire qu’il prend le temps de poser son regard ? Bien évidemment, la perception globale d’un élève existe et l’enseignant a matière à parler de chacun de manière évasive pour certains, plus précise pour d’autres, mais sur quoi cette perception est-elle fondée ? L’enseignant est focalisé sur le bon fonctionnement de sa classe, sur ses attentes en matière de réactivité des élèves, sur toute l’organisation matérielle. Il fait de son mieux, il gère. Sa perception peut être intuitive, elle peut s’être formée au fil des années, elle est surtout fondée sur un ressenti et sur les traces écrites des élèves.
Je ne suis pas en train de dire que les enseignants n’observent pas leurs élèves mais je pense qu’ils le font de manière contrainte : celui là agresse donc provoque les observations, cet autre crie , il faut réagir, celui là n’a pas compris, c’est un moment à prendre avec lui…. C’est donc toujours en réaction que l’enseignant observe un élève. Alors parfois des moments de souffle sont donnés et l’enseignant se donne le droit de regarder ce qui se passe et d’observer mais bien souvent son regard papillonne de l’un à l’autre.
Et c’est au cours de ces moments de souffle qui étaient donnés aux classes maternelles le samedi matin que j’ai expérimenté mes premières observations.
Plutôt que de laisser mon regard aller de l’un à l’autre mené par l’activité et les réactions (souvent agitées, c’est ce qui attire ), je décidais de n’observer qu’un seul élève. Ce temps du Samedi matin était ponctué d’activités dirigées mais aussi de plus longs moments de jeux rendus possibles par les effectifs réduits. C’est dans le cadre de cette activité jeu que je tentais mon expérience d’observation. A l’époque, aucune grille d’observation ni aucun écrit n’était envisagé. Le simple regard porté sur les agissements ou non ( certains peuvent rester inactifs et pourtant il y a de quoi observer) d’un élève durant un certain temps me donnait beaucoup plus que des semaines de cohabitation scolaire. Je constatais qu’après cette observation mon regard avait changé et que j’avais le sentiment de mieux connaître mon élève. Le connaissant, j’accédais à une meilleure compréhension et celle-ci m’aidait dans mon travail avec lui. Cette approche avait une incidence sur l’élève, sur son comportement et sa place dans la classe. Au fur et à mesure de mon expérimentation, le besoin de formaliser puis de ritualiser cette pratique s’imposait à moi.
La pédagogie de l’observation :
La relation élève-enseignant est cruciale, nouer des liens de confiance et de respect me paraît être la base d’un enseignement qui vise la réussite. Chacun arrive avec ce qu’il est et va construire son statut d’élève, l’enseignant accompagne cette construction et ne peut ignorer qui il aide.
La pédagogie de l’observation a l’ambition de créer le contact à travers un moment d’observation suffisamment long pour entrer dans la compréhension. Il est évident que le nombre d’élèves augmentant dans les classes complexifie ce travail.
Le principe de cette approche est de consacrer un temps hebdomadaire à l’observation d’un seul élève dans un cadre de jeu avec ses pairs ( 20 mn dans un espace de jeu), l’enseignant n’est plus acteur mais spectateur, il a ,au préalable, posé le cadre et se met en retrait afin de procéder à la rédaction des faits et gestes de l’élève. Une grille assez simple lui permet de classer ceux-ci en fonction de critères relationnels ( autres élèves, espace, matériel et adulte) au fur et à mesure de ses constatations. Ses interventions sont minimales , c'est-à-dire uniquement en cas de transgression des règles. Il ne fait aucune analyse, ne porte aucun jugement, il note ce qu’il voit.
Cette première phase est déterminante, elle permet à l’enseignant une proximité avec son élève qui est ressentie consciemment ou inconsciemment par celui-ci. J’ai, pour ma part, eu le sentiment bien des fois d’avoir dénoué des nœuds dés ce premier regard. Je suis bien incapable de l’expliquer, je parle de ce que j’ai vécu.
L’idée sous-jacente et clairement intériorisée par l’enseignant est l’aide à son élève, son souci de l’accompagner sur son chemin d’écolier. En choisissant de s’intéresser de plus près à lui, il se positionne dans une attitude d’ouverture à l’autre, ceci est éprouvé par l’élève, cela n’est pas une assurance d’acceptation, certains élèves sont dans le refus de l’aide, mais il n’empêche que l’intérêt de l’enseignant lui permet de se sentir unique donc reconnu.
La deuxième phase est la lecture des notes dans la grille d’observation. Celle-ci se fait à froid, avec du recul et un temps d’écart. Visuellement peuvent déjà apparaître des vides, ou des pleins , la colonne des relations aux autres élèves est particulièrement fournie, ou bien celle des relations à l’espace est vide ….. Puis la lecture des notes apporte d’autres informations ( il ne va que vers tel ou tel enfant, il sollicite l’adulte comme un protecteur uniquement, il passe d’un objet à l’autre, il passe son temps au sol, il ne sourit jamais, il provoque les conflits…..). Il est fréquent d'observer que cet élève qu’on croyait connaître, qui est , tous les jours, en notre présence nous révèle des aspects de lui-même qui nous avaient totalement échappés. Et c’est dans cette découverte que réside l’importance du regard. Elle nous permet d’aller plus loin avec lui et de se sentir proche.
La troisième phase correspond aux questions que l’enseignant va se poser suite aux informations récoltées (j’observe qu’il a peu de relations avec les autres enfants, qu’est-ce que je mets en place pour l’inciter à changer cette situation ? Qu’est ce que je lui dis ?). C’est la phase la plus difficile puisqu’elle soumet l’enseignant à imaginer des situations de remédiation. Lorsque je recevais de jeunes collègues en stage dans ma classe, je leur conseillais de travailler d’abord les deux premières phases puis d’entrer progressivement dans la troisième en choisissant une question et une réponse par exemple et petit à petit en tentant d’augmenter les recherches pour avoir un projet d’action avec l’élève.
Ce travail est à la fois simple et complexe. Je reconnais qu’il peut dérouter, c’est un changement dans les habitudes puisqu’il y a un moment de retrait qui ne correspond pas à l’idée que les enseignants se font de leur place en classe. C’est dérangeant de s’extraire et de regarder. Le manque de contrôle apparent ( le cadre est posé et les élèves l’ont verbalisé) peut faire craindre des réactions des élèves et notamment un risque de chahut généralisé. Il n’en est rien et pour avoir pratiqué pendant de nombreuses années cette approche, je remarque également que ce moment de jeu collectif devient un outil de mesure pour évaluer le degré d’autonomie du groupe. Il est ainsi rare de pouvoir mesurer sur la durée la progression du devenir élève, ce temps offre cette possibilité. L’enseignant relève ainsi comment le groupe s’auto-régule, comment les rôles se répartissent et comment les prises d’initiative et la coopération s’organisent.
J'ai souhaité mettre ce premier point dans mon programme car je pense qu'il s'agit de ce qui me tient le plus à coeur: l'ouverture aux autres dans sa dimension individuelle. Nous sommes conscients que des changements vont arriver dans les pratiques comme cela a toujours eu lieu dans l'histoire de l'Ecole, soyons initiateurs et non plus exécuteurs.
Les détails sur cette pédagogie sont à retrouver dans les liens suivants, ainsi que dans mon livre.
Le prochain article de la série « Le programme d’Isa » expliquera le deuxième pilier de mon approche pédagogique : cibler le langage comme priorité première