s'appuyer sur la culture quotidiennement: le programme d'Isa
La cinquième proposition vise le rapport sensible au monde à travers la culture artistique et littéraire. C’est une mission fondamentale de l’Ecole, elle est l’unique lieu qui donne à tous les enfants la même ouverture sur la compréhension du monde, de l’autre et de soi-même.
L’enjeu est démocratique et c’est pourquoi la fréquentation quotidienne me semble être une obligation scolaire que chaque enseignant doit préserver.
Le constat :
La culture artistique représente une richesse extraordinaire et un formidable tremplin pour l’expression, l’invention, la transformation.
Les enseignants ont parfois une certaine réticence à se lancer à la découverte de tel ou tel mouvement artistique pensant que leur propre culture ne leur permet pas cet accès.
D’autre part, proposer des œuvres d’artistes à de si jeunes élèves leur semble inapproprié et même précoce. De temps en temps, certains peintres rentrent dans les classes du fait de leur notoriété et de la facilité de reproduction de leur œuvre, mais depuis un certain temps déjà, la notion de « à la manière de » est déconseillée par les prescripteurs. N’ayant donc plus la possibilité de « faire comme », l’enseignant démuni face à la conduite de l’exploitation des créations artistiques se prive d’un moyen remarquable. Il peut même délaisser la partie « rencontre avec la création » au profit de projets en lien avec les fêtes traditionnelles qui relèvent plus de l’artisanat que de l’artistique.
La peinture , dans certaines classes, ne connaît pas de fréquentation assidue, elle peut être perçue trop difficile à mettre en place , trop contraignante en terme de matériel, trop sujette à saleté , trop vague en terme d’objectif d’apprentissage, trop compliqué à imaginer en terme de préparation.
Et pourtant cette activité de l’inutile semble être utile aux hommes depuis la nuit des temps. Les recherches aussi loin qu’elles remontent démontrent la présence d’une activité artistique dans les sociétés humaines. Chacun aurait en lui une potentialité créatrice qui lui permettrait d’exister, d’être unique parmi les autres, il aurait ce besoin d’arranger son monde de manière inventive.
C’est donc un paradoxe, cette faculté est indispensable à tout être humain et elle est délaissée dés lors qu’il s’agit d’enseignement (il suffit de voir la place faite aux enseignements artistiques au fil des années).
La culture littéraire s’en sort beaucoup mieux et a une position de choix dans l’éventail des programmes. L’Ecole joue un rôle majeur dans l’introduction des livres dans la vie des enfants, pour certains, elle est le seul lieu de cette découverte. D’autre part, l’Ecole a la charge de faire entrer les élèves dans les livres au-delà de la simple lecture, elle ouvre la voie à l’interprétation et donc à la compréhension. C’est pourquoi il m’a semblé primordial de multiplier les ouvertures littéraires et de faire d’un livre la référence quotidienne d’une semaine de classe.
S’appuyer sur la culture quotidiennement
La rencontre avec les artistes et leurs œuvres est une façon de relier le besoin de créativité de chaque individu avec la réalité de l’univers de la création.
C’est construire avec l’enfant la reconnaissance de l’importance de son besoin, c’est placer sur un piédestal le pouvoir de l’imaginaire et la considération qu’il doit y être accordée, c’est lui montrer qu’il s’inscrit dans une lignée, que des personnes ont choisi l’art pour vivre et que ce choix est respectable, s’en inspirer est un moyen de s’enrichir personnellement et d’exister soi-même et ceci dés le plus jeune âge.
Effectivement, l’inspiration est une voie vers l’émancipation et c’est aussi pourquoi la recherche n’est pas de reproduire à l’identique mais bien au contraire d’extraire le geste, l’intention, les couleurs, la forme, la composition, le procédé, ou que sais-je encore pour ensuite créer sa propre écriture artistique.
Mais quelle puissante source est l’œuvre d’un autre, cet autre qui a exploré comme chacun des enfants et qui est sûrement resté l’enfant qu’il était pour devenir ce génie artistique, oui quelle puissante source pour ces enfants. Qui n’a pas ressenti ce sentiment d’admiration à la vue des éclatantes et lumineuses réalisations nées des mains des petits élèves travaillant autour de l’œuvre d’un de ces maîtres de l’art ? Construire la confiance en soi est une des tâches premières des éducateurs de l’enfance, or le "sentiment de pouvoir" que l’enfant peut ressentir naît dans le regard que les adultes portent sur eux. C’est pourquoi l’artiste aide l’enfant et l’enseignant ne peut passer à côté d’une telle aide.
Mais il n’y a pas que cela, il y a aussi la culture commune qui soude un groupe et crée du lien social, la culture qui permet de comprendre le monde qui entoure, la culture qui est une source de vérité et de liberté.
C’est pour toutes ces raisons que la fréquentation régulière des œuvres ( 10 à 11 artistes rencontrés dans une année scolaire) prend une place prépondérante dans la pédagogie que je défends, nul besoin d’avoir des connaissances d’érudit en art, l’enseignant ne pourrait plus assurer la polyvalence qui lui est demandée avec ces considérations de spécialités laissées aux spécialistes.
Evidemment, il s’intéresse aux artistes qu’il va présenter en cherchant à connaître les mouvements auxquels ils appartiennent afin de comprendre leur démarche, mais cette curiosité vient naturellement dés lors qu’on introduit des œuvres dans sa classe.
De la même façon et pour les mêmes raisons, la littérature est présente quotidiennement et est un point d’appui très fort à l’ enseignement.
Mes préparations s’articulent autour d’un livre par semaine sur le thème de la période (environ 7 livres par période). Il est à la fois support du sujet d’étude mais aussi objet de recherche, d’interprétation, de compréhension. Il est un univers de mots, de phrases, de silences, d’images, d’imaginaire, de rêve.
L’enseignant offre à ses élèves le meilleur du vocabulaire, de la syntaxe, du récit en les plongeant quotidiennement dans la littérature. Il les accompagne dans le décodage de ce monde que certains n’ont jamais approché. Il ne doit jamais l'oublier , c’est un monde étrange qui ne devient familier qu’après une longue compagnie.
Et c’est ce qui doit guider l’enseignant dans l’application qu’il met à choisir ses livres. Il se conduit en expert et doit rechercher l’amour de la lecture (cela me parait être un travail personnel à faire avec soi-même quand on ne le possède pas).
Personnellement, je lisais peu quand j’étais jeune. J'ouvrais uniquement les livres que les enseignants m’obligeaient à lire avec beaucoup de réticence et peu d’enthousiasme (entre parenthèse, j’étais très bonne en orthographe sans lire). Ce n’est que devenue adulte et maîtresse d’école que j’ai ressenti le besoin de lire, cela me semblait incontournable et la découverte fut tellement agréable que cette activité est maintenant quotidienne.
La recherche des albums à travailler avec les élèves fut un bonheur qui n’est toujours pas éteint. Si vous saviez quelle joie j’ai à rentrer dans une librairie spécialisée ou dans une bibliothèque, aller à la découverte de nouveautés, ouvrir les livres avec ce désir d’émotion, être emportée par la beauté ou bien l’originalité des illustrations.
Beaucoup d’auteurs sont talentueux et nous avons la chance d’avoir un grand choix. Les élèves sont comme nous, ils sont sensibles à l’intelligence et au talent. Ils partagent nos passions dés lors que nous y mettons notre envie. Mais nous avons aussi le devoir de varier les types de livres pour la pluralité et l’ouverture d’esprit.
« Bien sûr, tout cela n’est pas si important : le monde peut fort bien se passer de littérature. Mais il peut se passer de l’homme encore mieux. » Merci à Sartre de dire que la vie n’est pas faite que d’utilité. Attention de ne pas tomber dans ce travers qui ferait de l’Ecole un lieu où l’on ne prépare les individus que pour les besoins d'un marché économique.
En conclusion, je vous ai présenté les 5 piliers qui soutiennent la pédagogie que je propose sur ce blog, il y a bien évidemment d’autres aspects de l’enseignement que j’aborde et qui construisent un tout cohérent répondant aux programmes de l’Ecole Maternelle. J’ai voulu présenter à ceux qui entrent dans mon univers de préparation et de réflexion la cohérence d’une pédagogie qui n’est pas un empilement de fiches ou de situations présentées. Il s’agit d’un réel souhait de partage mais aussi d’accompagnement dans des changements qui me semblent être une voie pour lutter contre l’échec scolaire, seul défi qui me fasse encore travailler plusieurs heures par jour à la retraite. Merci à ceux qui ont décidé de soutenir ce blog en y participant et en me donnant des raisons de continuer.