la salle des maîtres: Véronique et son petit autiste
Véronique parle :
Arrivée à la rentrée dernière dans une nouvelle école de trois classes, nous étions deux nouvelles enseignantes : celle de petite section étant la nouvelle directrice et moi-même, je prends la moyenne section. Je savais peu de choses à propos de ma future classe : que son effectif était le plus chargé de l'école (28 élèves) et que parmi eux se trouvait un petit garçon présentant "des troubles du comportement". A la rentrée, la maman me précise rapidement que son fils "n'est pas tout à fait comme les autres" et que dans le courant du mois de septembre, il va subir dans la grande ville voisine des tests pour confirmer ou non des troubles liés à l'autisme. Puis, elle part travailler. Je ne la reverrai plus. L'enfant est amené et récupéré par sa soeur aînée, scolarisée dans l'école élémentaire voisine. Le papa vit dans une ville très loin de la nôtre, quand au beau-père, bien qu'en congé parental et habitant en face de notre école, il argue du fait qu'il "n'est que le beau-père" pour ne pas s'engager davantage.
Et me voilà confrontée d'emblée à un problème qui va très vite m'apparaître comme insoluble : un petit garçon qui refuse de s'asseoir, qui s'enfuit de la classe, qui crie, qui pique des crises, ou bien répète en écho toutes les paroles qu'il entend, se met à rire interminablement. Très vite, certains petits camarades de classe se mettent à l'imiter. Les regroupements tournent au cauchemar, impossible de lire un album, de chanter, de dire une comptine, de mettre en place des rituels. Je passe mon temps à lui courir après, ma hantise étant qu'il tombe dans les escaliers ou qu'il se blesse d'une manière ou d'une autre. Il refuse de participer aux ateliers, jette les feutres, prend les ciseaux et s'enfuit avec, prend les affaires qui se trouvent sur mon bureau. Sans compter les séance de motricité, les temps calmes en début d'après-midi, tous ces moments sont ingérables. J'ai aussi très peur de ne pouvoir assurer la simple sécurité des 27 autres élèves. Quant à faire classe...autant ne pas y songer... Toute mon énergie est "bouffée" par cet enfant, j'ai peur de l'accident, je ne dors plus, je ne mange plus, je viens travailler avec un noeud à l'estomac. Et la famille est injoignable : mère au travail, beau-père sourd, je ne peux que transmettre des messages à la grande soeur.
Le diagnostic finit par tomber : troubles envahissants du développement mais toujours de pas de prises en charge, toujours pas de notification d'AVS donc pas d'AVS, et une grande agressivité de la part de la maman : je n'aime pas son fils, je n'ai pas assez d'autorité avec lui, je ne sais pas gérer les crises et si l'état de son fils s'est aggravé, c'est à cause de moi qui ne sais pas m'y prendre et qui n'ai pas envie de faire d'efforts. Elle menace même de porter plainte pour "discrimination".
Depuis, d'interventions de l'inspecteur de circonscription en réunions de suivi de scolarité, de mise en place de séances d'orthophonie (1 par semaine) en mise en route de séances de psy (ponctuelles celles là), de coups de mains des collègues qui me le "prennent pour me soulager" en interminables recherches sur internet pour aller à la pêche au infos sur l'autisme et les TED (troubles envahissants du développement), je navigue à vue, je bricole des solutions temporaires, je fabrique du matériel pédagogique mis en ligne sur des blogs de parents d'enfants autistes, je remplis un cahier de liaison spécialement pour cet enfant, j'improvise, et surtout je m'épuise lentement. Cet enfant est scolarisé toute la journée, cantine comprise. Cela l'épuise lui aussi car honnêtement, je ne suis pas sûre que pour ce type d'enfant, la vie collective 8 heures par jour soit bénéfique. Il y eu certes des progrès depuis le mois de septembre : le contact visuel est établi, il parle davantage pour communiquer, mais les regroupements lui sont toujours impossibles et le travail purement "scolaire" n'est toujours pas mis en place, malgré mes efforts. Certaines journées sont "lessivantes" et cela commence dès le matin à l'accueil.
Je n'arrive pas à tout gérer : le comportement de ce petit garçon, les relations avec sa famille, mes 27 autres élèves dont certains sont très "costauds" et les relations avec leurs familles, le travail en équipe avec les collègues, les programmations pédagogiques, les relations avec le personnel mairie (atsem, cantinière), ma vie personnelle qui en prend un sérieux coup et j'éprouve selon les moments : du découragement, du cynisme, du désintérêt, de la tristesse, de la colère, de l'exaspération, de l'angoisse, de la peur et parfois tout ça dans la même journée.
Si tout va bien, un ou une AVS devrait arriver après ces vacances pour une durée de 12 heures par semaine. Tant mieux pour nous tous. Mais que de retards, que de lenteurs, que de malentendus !!! Que de dégâts aussi !! Je ressens beaucoup d'amertume car j'ai la sensation d'avoir été envoyée "au front" sans information, sans formation, et d'avoir été abandonnée. Je dois compter sur mes propres ressources et celles-ci s'amenuisent de jour en jour...
Alors, si certains collègues ont été confrontés à ce type de situation, comment ont-ils géré tout cela ? Que penser de l'intégration scolaire telle qu'elle se pratique la plupart du temps dans les écoles maternelles ? Merci d'avance à tous et à toutes. Merci encore de m'avoir lue. J'attends vos réactions et vos suggestions.