Les travaux de Richard Tremblay: L'agressivité et le petit enfant module n°2
Dans le module 1 consacré à « Qu’est-ce que l’agressivité ? », nous nous sommes attachés à décrire, exprimer et ressentir ce que ce mot « agressivité » nous renvoyait. Les observations montrent une fréquence suffisante pour nous interroger sur les conduites à tenir. Le sentiment d’efficacité est un but professionnel, sans lui l’enseignant peine et se trouve fragilisé. Le découragement le poursuit et le cercle vicieux s’enclenche entre lui et les enfants. Pour une disponibilité et un intérêt aux apprentissages, la sécurité affective demeure le premier levier pour les enfants. Avoir face à soi un enseignant qui doute et qui se sent inefficace à vous protéger crée un climat propice à l’agitation. Celle-ci contribue de fait à l’agressivité.
Nous comprenons alors qu’il est fondamental de chercher des appuis théoriques afin de mieux appréhender le phénomène de l’agressivité chez le petit enfant.
Le chercheur Richard Tremblay vient de recevoir (Juin 2017) le prix Nobel de criminologie pour ses travaux ( plus de 30 ans) sur l’agression physique dès la petite enfance.
Il a décidé de se battre contre les idées reçues.
Voici un extrait de l’avant-propos de son unique livre « Prévenir la violence dès la petite enfance » aux éditions Odile Jacob 2008.
« J’espère qu’il (le livre) aidera chacun à réfléchir et à mieux comprendre les enjeux de la socialisation des enfants, surtout de ceux qui naissent et grandissent dans des conditions qui les placent sur une longue trajectoire d’épreuves, d’échecs et de détresses. J’ai commencé ma carrière par la fin, là où on voit si clairement les dégâts et l’importance de les prévenir ; j’espère terminer ce long chemin en aidant à mettre en place les moyens de prévention qui s’imposent dès le début de la vie ».
En voici un bref résumé :
Ces travaux s’appuient notamment sur des études d’épidémiologie développementale menées par d'éminents sociologues tels que Denise Kandel (française).
Richard Tremblay est psychologue canadien et a commencé sa carrière en prison auprès des meurtriers.
Il reconnaît avoir longtemps cru que les enfants apprenaient la violence par imitation de modèles familiaux, à l’école, dans la rue ou dans les médias. Il a suivi des milliers d’enfants et peut maintenant affirmer qu’il n’en est rien.
D’abord, il établit que la violence actuelle comparée à la violence des cinq derniers siècles est en diminution passant de 40 meurtres pour 100 000 habitants à 1 meurtre pour 100 000 habitants.
Malgré cette diminution, les adolescents et les jeunes adultes sont les personnes les plus susceptibles de commettre des actes violents sanctionnés par la loi.
En étudiant les adolescents qui agressent, il apparaît qu’ils étaient déjà dans une trajectoire d’agression à l’école primaire.
Afin de mieux comprendre, R.Tremblay décide d’étudier le développement de la violence pendant la petite enfance.
Les précurseurs dans l' observation des manifestations de colère des tout- petits ne sont autres que Aristote, Sénèque, Saint Augustin, mais aussi Darwin.
La colère engendre les premières agressions dès que la croissance physique le permet. L’augmentation de cette violence atteint un sommet entre 24 et 48 mois pour diminuer régulièrement jusqu’à l’adolescence et ceci quel que soit le pays, le continent mais aussi l’époque (1920 à nos jours) ….
Les études montrent que la plupart des êtres humains ont eu recours à l’agression physique avant d’atteindre l’âge de 24 mois.
Quand la diminution naturelle ne s’opère pas chez un enfant, il est question d’agressivité chronique.
Plusieurs facteurs à risque ont été démontrés.
L’environnement influence le développement du cerveau par ses effets sur l’expression des gènes, en retour le cerveau gère la capacité de contrôle de soi nécessaire à l’apprentissage de la régulation des comportements d’agression.
La consommation de tabac, d’alcool pendant la grossesse, la mauvaise alimentation et le stress ont un effet direct sur le développement du cerveau et le développement du système nerveux de l’enfant.
Le comportement parental à l’égard de leur enfant (soins de base et stimulation intellectuelle) crée un environnement propice à l’apprentissage du contrôle de soi.
Richard Tremblay constate que tous les efforts de prévention de la délinquance sont centrés sur les adolescents à une période de leur vie où les phénomènes d’imitation sont les plus prégnants ce qui met à mal ces programmes dès lors qu’il s’agit de regrouper les jeunes difficiles dans des structures.
En revanche, les programmes de prévention sur le soutien aux parents et aux enfants depuis la grossesse jusqu’au début de l’école primaire ont des effets préventifs remarquables à très long terme.
En fin d’ouvrage, R. Tremblay nous éclaire sur les mécanismes qui permettent de prévenir la violence des individus.
Il réaffirme que tous les enfants utilisent spontanément l’agression physique dès leur première année.
Les mécanismes d’apprentissage des alternatives à l’agression physique passent par le développement du langage, par la régulation des émotions, par la réaction des victimes et des adultes, par la transformation des gestes d’agression en activités ludiques.
Et il conclut ainsi : « La prévention de la violence doit se faire sur deux fronts : celui du soutien précoce, intensif et soutenu aux plus fragiles, et celui d’une vigilance constante pour prévenir et désamorcer les sources de conflits entre les individus et les groupes. »
Sans tomber dans le fatalisme, nous pouvons retenir que malgré toute la bonne volonté de l’enseignant de maternelle a créé un environnement sécurisant, il ne peut exclure les agressions physiques qui à l’âge de ses élèves correspondent à l’apogée de ce phénomène. Il lui faut donc en tenir compte, à la fois sortir de ce sentiment d’inefficacité tout en continuant d’agir avec détermination parce que c’est aussi l’âge où la prévention est la plus efficace. La violence ne s'apprend pas, elle se désapprend.
Que vous inspire cette lecture ?
Je vous invite à visionner ce documentaire "Aux origines de l'agression" qui s’appuie notamment sur les travaux de Richard Tremblay.