Loreleï et sa difficile fonction de directrice
Loreleï écrit
Je n'ai pas écrit depuis la rentrée parce que tel que ça s'annonçait, ça a été la folie jusqu'aux vacances.
Je viens ici en fait juste pour DIRE comme je suis désespérée dans ma fonction d'enseignante et de directrice. J'ai 6 ans d'ancienneté, et c'est ma 4è rentrée comme directrice. L'école a trois classes, donc pas de décharge pour moi. Des effectifs qui augmentent chaque année mais on n'ouvre pas de classe car je coûte trop cher (1 poste + 1/4 de décharge). Cette année classe 1 : 31PS/MS (ma classe), classe 2 : 28 MS/GS, classe 3 : 27 GS dont 4 enfants avec AVS. On est dans un quartier qui pourrait, s'il y avait plus de budget, être en ZEP. Pas de CRI, pas de maître rééducateur, heureusement une collègue REGAD à cheval sur notre école et l'élémentaire, mais qui ne travaille que 3 jours sur 4. Ma première année comme directrice avait été vraiment violente pour moi, et je n'étais que T3, à cause d'une collègue ayant des problèmes d'alcool. Ensuite les problèmes ont continué avec la gardienne de l'école, qui est logée sur place. Il y a deux ans et demi elle a commencé à tenir des propos diffamatoires auprès des parents envers une enseignante et ses collègues. Elle n'accomplissait plus ses tâches d'entretien : dortoirs et toilettes des enfants dans un état d'hygiène déplorable, elle cherche à nuire à la sécurité au sein de l'école par divers moyens... Et en réponse aux "rappels à l'ordre" de la municipalité, elle les a attaqués en justice, et bien sûr m'a intégrée à tout ça comme "chef d'établissement". Cela fera rire les collègues directeurs et directrices... Bref toutes ces procédures administratives me prennent énormément de temps, au détriment de tout le reste. Et par dessus tout, suite aux menaces et insultes de notre gardienne, c'est moi qui ai peur de me rendre à l'école pour y travailler en dehors de la classe. Elle est censée quitter son logement dans quelques mois car la mairie nous a accordé une extension de locaux, mais je ne présage rien de bon. Je ne pense pas qu'elle partira comme ça. Et cette année, je ne m'en sors plus entre ma classe et le bureau. D'autant que j'ai pour la première fois aussi des MS et je culpabilise de les faire dormir, alors je les garde en début d'après-midi et c'est un temps vraiment privilégié pour eux et pour moi, parce que le matin, avec mes 5 groupes différents, ils sont en plein dans l'autonomie, si on voit les choses de façon positive... Je fais la surveillance de cantine par nécessité financière. Donc à part la récréation où j'ouvre tout juste les mails de l'école, je ne vois plus mon bureau... En plus de ça je demande à être dispensée d'aide personnalisée, comme le permet l'IA mais mon IEN semble refuser cela (je dois 60h, alors que les autres directeurs qui ont une décharge n'en doivent qu'une partie). J'essaie d'aider au mieux ma collègue que j'adore car elle passe son CAFIPEMF. Dans la classe j'ai une enfant très handicapée, mais sans aucun suivi... Elle rend la "gestion" de la classe très dure, même si je n'aime pas ce mot. Et puis elle n'est pas propre, ce qui est dû à son handicap, donc je ne veux pas dire à sa famille de la garder jusqu'à ce qu'elle le soit, sinon elle n'est pas prête d'être en collectivité... Et donc mon atsem, qui est super, passe beaucoup de temps avec elle en classe et pour la changer. Du coup je me retrouve parfois en plein milieu des ateliers avec mes 5 groupes faisant chacun une activité différente, toute seule d'un coup. Ce qui souvent fait que les élèves "détruisent" tout ce qu'ils venaient de faire avant que j'ai pu arriver jusqu'à eux et au moins leur dire que c'était bien ou pas... Encore une anecdote les deux derniers jours avant les vacances : la 3è collègue était absente et on me dit il n'y a plus de remplaçant. J'insiste car chez nous : 28 élèves à répartir ça fait 14 de plus dans les deux autres classes, ce qui est ingérable. Mais rien à faire. Ma collègue devait en plus partir pour une séance d'EPS au gymnase, à quelques rues de l'école, avec la conseillère pédagogique pour préparer son examen du C AFIPEMF. Je me dis impossible de la laisser y aller à 41 élèves, juste avec l'ATSEM. Impossible aussi de la priver de cette séance qu'elle avait longuement préparée. Donc je garderai les élèves de la collègue absente. Au portail le matin, j'invite les parents qui ne travaillent pas à garder leurs enfants à la maison. Il ne reste que 14 élèves en plus des miens. La conseillère péda arrive et me dit qu l'IEN sera très en colère si elle sait que certains enfants sont repartis chez eux, que je n'avais pas le droit de demander ça aux parents, que je devais garder tout le monde ! Mais bien sûr donc 31+28 = 59 enfants dans ma toute petite classe remplie de chaises et de tables, où on circule déjà difficilement. Et s'il y a un accident, je serai encore responsable. Quoi que je fasse, c'est de ma faute! Donc j'ai dit OK : appel au syndicat, explications, désespoir face à ce que je dois faire en dépit des moyens nécessaires, ras-le-bol. A 11h, une remplaçante arrive grâce au syndicat bien sûr... Elle a certes été retirée d'un autre remplacement mais je n'ai aucun scrupule puisqu'elle vient d'une école de 11 classes, où ce sont seulement 2 élèves par classe qui ont été répartis. Alors je sais que mon portrait va encore être affiché sur les murs de l'inspection et servira de jeu de fléchettes, mais JE M'EN FICHE COMPLÈTEMENT.
Sinon on a une excellente ambiance à part tout ça dans l'école, ceux qui y passent pour travailler voudraient tous y rester, les parents nous soutiennent aussi et c'est très important. Mais je me sens de plus en plus crouler sous le poids. Je crois que je n'ai plus d'énergie. Et je dois me faire inspectée je pense cette année alors j'essaie de tenir encore un peu, encore un peu... Je pense que de l'extérieur les gens pensent que je gère tout ça, mais en fait je n'en peux plus. Je ne suis pas satisfaite de ce que je fais. Je suis en colère car je veux faire plus pour ma classe et je veux faire plus pour la direction, mais chez moi c'est dur d'avancer avec mes enfants qui ont 4 et 1 ans, mon conjoint en formation... Et à l'école je ne peux pas y aller seule. J'ai envie de crier STOOOOP. Mais je me trouverais trop lâche d'abandonner. Je ne sais pas si je dois faire mon mouvement et demander une autre affectation, être adjointe c'est bien. M'occuper seulement de ma classe... Mais mon conjoint, qui lui aussi n'en peut plus de me voir vivre avec tout ça, me dit que je regretterai la direction... Je ne sais plus du tout où j'en suis.
Le plus dur pour moi c'est le sentiment d'injustice. Je n'accepte pas le fait de ne pouvoir faire évoluer la situation, que ce soit nous qui devions subir sans arrêt, en baissant le regard quand on croise cette gardienne. Ce qui est dur c'est de trouver le courage de remonter le moral de l'équipe, quand moi-même je ne crois plus au dénouement de ce problème. Notre force c'est notre solidarité à l'école. Je sais que si je laisse tomber, si je décide de partir, beaucoup feront de même. Et je trouve si dommage que ce soit nous qui quittions cette école car ça pourrait être un endroit merveilleux pour les adultes qui y travaillent et les enfants : petite structure, sur les hauteurs de la ville, on a beaucoup d'espace, une grande cour, ... Je manque de deux choses qui sont liées : du temps et du courage. Si j'avais le courage de me rendre à l'école pour travailler seule, je n'aurais pas l'impression que tout ce que je fais est inachevé. Ou en tous cas moins, car c'est sûr on se dit toujours qu'on peut mieux faire, ou plus. Mais là, sans faire la capricieuse, c'est dur : de 8h à 17h30 je suis à l'école, je mange en un clin d’œil, je suis sans arrêt interrompue par les ouvriers qui viennent faire ceci ou cela, par le téléphone qui sonne toutes les cinq minutes alors que je suis en classe (je n'ai même pas un répondeur) et comme je n'ai pas de décharge impossible de dire "rappelez-moi tel jour". Et c'est vrai que je passe énormément de temps en "relations sociales" entre les familles, les services sociaux, les services municipaux, de santé ... car certaines familles se trouvent dans des situations peu commodes... Et pour moi ça c'est une chose prioritaire : faire le lien entre les différentes personnes qui prennent en charge les enfants.
Alors j'ai décidé pour l'instant d'abandonner ce qui pour moi n'est pas une priorité mais je sais qu'à un moment donné j'aurai le revers de la médaille, et ça sera sûrement le jour de mon inspection. Notre IEN vient d'arriver sur la circo et elle est très à cheval sur le règlement, les textes, la Loi. Ce qui est bien je trouve, mais peut parfois conduire à certains excès qui n'ont aucun sens je pense.
Alors ce n'est pas trop un manque de reconnaissance de l'administration qui pose problème. En fait ils me disent : c'est bien ce que vous faites, on vous soutient, il faut encore patienter. Mais au final au quotidien ils n'y sont pas. C'est un rythme de dingue, des responsabilités et ça demande un minimum de moyens accordés. Avant les vacances au Conseil d’École j'ai dit à tous : je n'ai pas de décharge, ce qui sous-entend que dans cette école être directrice est une simple fonction symbolique, qui ne prend pas de temps spécifique. Je décide donc d'ouvrir les mails si j'ai du temps aux récréations, de ne répondre au téléphone que de 10H à 10H20 et de 15h à 15H20. Et c'est tout. Je porterai la banderole de Directrice comme une Miss France et ça s'arrêtera à ça ! Je plaisante mais c'est sérieux quand même !
Sinon les conseillers péda de notre circo sont très bien. Ils veulent juste me mettre en garde des possibles retours de l'IEN. Ils savent que je ne suis pas du genre à me laisser faire si je pense être dans mes droits et je sais qu'ils aimeraient parfois que je ne réagisse pas, que je laisse couler mais c'est plus fort que moi. Je respecte mes supérieurs, MAIS eux aussi doivent suivre ce qui a été décidé au-dessus d'eux. Ce n'est pas normal d'avoir peur de façon irraisonnée de son supérieur non ? L'an dernier j'ai été "punie d'inspection" par l'ancienne IEN. En visite dans l'école pour une autre inspection, elle m'a hurlé dessus devant les parents d'élèves me donnant l'ordre de retirer les papiers envoyés par le collectif RASED que j'avais affichés informant les familles des suppressions de poste. J'ai refusé de les retirer sachant que j'étais dans mon droit, et que d'autres écoles avaient même des banderoles devant leur portail. Alors elle m'a donné tous les noms qu'elle pouvait : incapable, ... Me disant que je faisais de la politique, et que puisque je refusais de lui obéir elle annulait mon inspection. Nous devions nous entretenir et arrivées dans la salle de réunion, je lui ai tiré une chaise et me suis mise à une autre. Elle s'est avancée, s'est plantée à côté de moi et m'a dit "levez-vous, c'est ma place ici". Je ne me suis pas démontée et lui ai répondu comme les enfants le font qu'il n'y avait pas écrit son nom sur la chaise (d'autant qu'il y avait une dizaine de chaises vides également). Alors je sais qu'on peut penser que j'ai un problème avec l'autorité mais pour moi j'ai un problème oui mais avec l'autoritarisme. Parce que c'est INJUSTE.
En fait je suis démoralisée parce que je me dis que c'est impossible de rendre réel tout l'idéal qu'on a en soi en tant qu'enseignante. Cette école à laquelle on croit tous ici sur ce blog génial, je la vois s'éloigner tous les jours de moi. J'ai l'impression qu'on veut me forcer à abandonner cet idéal. Toutes ces contraintes, toute cette pression sont complètement anti-productives, elles m'épuisent.
Voilà est-ce que je vais t'envoyer ce message si long, si pathétique ? si j'appuie sur envoyer tu m'excuseras ? Mais ici c'est le seul lieu d'échange libre que j'ai, sans être jugée car je ne dois rien à personne ici... Et pour ça je te remercie : cette terre d'idéal je la touche au moins du doigt grâce à ma souris et mon ordi. Ton site est vraiment fabuleux, j'admire ton travail et surtout ton projet de communication. Cela doit être un des secrets je crois de la réussite de ton site : tu sais transmettre, communiquer avec les autres et les faire communiquer ensemble. C'est ça l'essence de ce métier, non ?